La cabane de la clairière
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Trois jours en janvier.... juillet 2024

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Message par Lix 31.08.24 16:28

En janvier, alors que je ne savais pas quoi écrire, Jean Paul m'a dit un truc du style "pourquoi ne pas raconter trois jours du mois ?" Alors voilà,  je rapatrie les trois jours existants, ceux d'août vont arriver, et pour la suite, on verra bien... :-)




Trois jours en janvier


J1
8h20, le jour tarde à pointer son nez mais sa froidure mord le mien. Je déambule en funambule sur un chemin séparant la gravière du canal. Je ne vois ni l’un ni l’autre. J’écarte les bras, prête à prendre mon envol. Une racine et l’on me retrouvera dans le Rhin, becquée par les goélands. Je tressaille. Un épais brouillard filtre les vrombissements sur la voie rapide à portée d’oreille, lesquels me ramènent à la réalité. Je quitte la frontière et mes idées noires, pose mes fesses dans la voiture, mes mains sur le volant, pars bosser.


J2
8h25, le ciel est rouge feu, ma gorge en flammes, ma bouche prise de fièvre. Je balbutie, mentalement seulement. Dans un soubresaut mes pensées reprennent forme, moi un peu de vigueur. J’enclenche le pilotage automatique, discute avec mes collègues, indifférente mais le sourire aux lèvres, un mot cordial pour chacun. Je pèse mes mots, me méfie, consciente d’être dans un panier de crabes. Je préfère les goélands. J’imagine et m’enfonce dans un brouillard frais et réconfortant, hausse les épaules, m’isole pour savourer un café à même la thermos. Dans quelques minutes, je donne une formation. Rideau !


J3
8h30, nous sommes vendredi. Habituellement je suis en télétravail mais des raisons de service m’obligent à être « à l’usine ». Je suis la gardienne des cadenas, m’assure que personne ne touchera aux installations soumises à maintenance. Je souris, me vois enchaînée aux racines d’un arbre, les pieds nus suspendus au-dessus du Rhin. Des cristaux de givre tatouent ma peau, un froid brutal me lèche les joues. Telle une machine, je fais vrombir le moteur, pars à l’assaut de la journée. Ce soir je retrouverai mon homme. Au diable vents et marées, une étincelle réchauffe mon cœur.


Trois jours en février, Onnaing


Me voilà les pieds nus ancrés dans une terre meuble à mi-parcours d’un alignement d’arbres, menhirs vus du ciel, frontière entre habitations et forêt au sol. D’un côté une fenêtre ouverte diffuse les quatre saisons de Vivaldi, de l’autre s’élèvent les aboiements d’un chien furieux en autant d’échos lugubres prisonniers du sous-bois. Je ferme les yeux et m’isole, là, exactement au-dessus de l’Enfer, ressens les vibrations d’une eau traînante, perçois son chuchotis, m’enfonce mentalement dans son cours souterrain puis m’allonge et m’endors sur la mousse.


Le jour toque à mes paupières. J’ai froid, recroquevillée dans cet ailleurs au crachin mordant. Une bête immobile et silencieuse me toise. Je me lève sans mouvement brusque, étire lentement mes membres douloureux, enfile mes bottes pour l’approcher. « Est-ce toi que j’ai entendu hurler ? M’as-tu veillée cette nuit ? ». Aucune réponse, l’animal s’éloigne et s’éclipse dans la pénombre d’un chemin discret entre les feuillus. À sa place je trouve des morceaux de terre cuite, étrange… Décidée à ne pas réfléchir, je me lance à sa recherche, « Aboie ! Donne-moi un indice ! ».


Je découvre une maison esseulée prise dans les griffes de branches centenaires, au bord d’une route que personne ne semble avoir empruntée depuis longtemps. À l’arrière, une chaîne rouillée au départ d’une ca bane en bois. J’avance à pas de loup, m’attendant à voir surgir ma sentinelle. Rien, juste une niche abandonnée. À l’intérieur, des pipes en terre cuite, des débris de faïence, des miettes de charbon. Assurément les souvenirs d’une histoire, mais ce ne sont pas les miens. Je tourne les talons et repars, dans l’air flotte comme odeur de chien mouillé.


Trois jours en mars


Jaune
Je me glisse à fleur de sol entre les racines d’un vieux feuillu, tout contre son tronc écorché par les ans, les hommes et les vents. Sa peau meurtrie déchire à son tour la mienne et dans un souffle de vie me donne un peu de douceur. De ses veines s’échappe un cri de la terre, une ode à son sous-bois. Les feuilles tressaillent, font fuir un renard et taire les oiseaux. Un rai de lumière se faufile entre les branches, illumine une tige d’un vert flamboyant. Pure merveille, une jonquille sur le point d’éclore. 


Blanc
Installée sur un banc je regarde au-delà d’un épais grillage vert qui m’encage le canal charrier morceaux de bois et autres ramilles. À ses abords, les arbres souffreteux peinent à reprendre souffle et vigueur, s’éveillent péniblement au printemps. Le chant des oiseaux les encourage, le bruit assourdissant des pales d’un hélicoptère bleu et blanc à très basse altitude détruit mes oreilles et ma contemplation. Peu importe, mon temps de pause est écoulé, ma parenthèse liberté se referme. Je me lève, aperçois une pâquerette solitaire, lui fait un clin d’œil. Une corneille becque un ver.


Vert
Les yeux encore collés j’observe la Forêt Noire, plantée devant ma fenêtre. Je la vois en feu sous les rayons ardents du jour naissant. Je tends mentalement un bras vers elle pour m’assurer qu’elle héberge des jonquilles. Croix de bois, croix de fer !  claironnait hier un rouge-gorge. De toute façon, je n’aime pas les résineux. Je replace ma main sur la tasse de café, bois une gorgée brûlante. L’Allemagne disparait dans la brume. Demain est un autre jour, je vais préparer mon sac pour rejoindre les bois haut-marnais et leurs pierres à légendes.


Trois jours en avril


La mer
Il neige depuis plusieurs nuits. Sur la gauche, la Forêt Noire grisonnante et ébouriffée. Sur la droite, les Vosges enveloppées d’un grand châle blanc. Au milieu, moi. J’ai froid, le vent souffle à me décrocher les tempes. Je foule des gravillons, tête baissée pour admirer des cailloux lumineux sous un soleil pourtant timide. Ils sont beaux. Je me baisse, en ramasse une poignée puis la jette en l’air. Les plus blancs, translucides dans la lumière, ressemblent à la nacre. Ils retombent au sol, dessinent une flèche. La mer, c’est par là. Je le sais bien, patience…


La lune
Me voilà sur une passerelle au-dessus de la Schwarzwasser, la rivière ‌"Eau noire". Je devine plus que ne vois mon reflet déformé après avoir tenté de faire des ricochets avec une piécette qu’un air glacial a emportée, quelques-unes de mes idées sombres avec. La lune rose viendra-t’elle se reposer sur cette onde cette nuit ? J’en doute, trop de nuages feront barrage à son image. N’importe quoi, comme si ces moutons pouvaient commander le chef des marées… J’imagine quelque part des goélands dans un coucher de soleil oranger, sur une mer pourpre et enragée. 


Le Nutella
Je n’ai vu aucun astre lunaire, pas même en rêve, le ciel et mes pensées étaient trop encombrés. Aucune mouette ne m’a réveillée mais le merle oui, caché dans les branches d’arbres qui atteignent mon troisième étage, un semblant de nature, des résistants. Je regarde la Schwarzwald, plus blanche qu’hier. Nous sommes vendredi, encore quelques heures et je serai en weekend. Pour savourer ce moment, mon homme m’a acheté un pot de Nutella et promis une soirée crêpes. Une marée de tendresse me submerge. Peut-être regarderons-nous quelques photos de la Bretagne en attendant…


Trois jours en mai


Comme chaque matin j’arrivai, besace hors d’âge en bandoulière. Dedans, fait plutôt singulier, un sac plus grand et costaud roulé comme un parchemin tenu par un large élastique. Les railleries habituelles fusèrent alors que j’entamai la descente vers la cave, lieu d’épreuve imposé aux novices. À mi-chemin j’entendis les "clac clac clac" et les râles familiers de mes consœurs. En bas, je m’installai, m’équipai du cache que la vieille peau me tendit avec mépris. Les "clac clac clac" s’intensifièrent.  Le soir je m’enfuis lestée de l’objet de mes tourments.


C’était il y a plus de trente ans. Ce souvenir est venu me chatouiller hier quand j’ai repéré l’encombrant paquet dans ma propre cave. Dans l’appartement, la chose se retrouve exposée comme un trophée. La vilaine, elle m’en a fait baver ! Les ampoules au bout des doigts, parfois ensanglantés, m’ont longtemps marquée. J’entends encore ces satanés "clac clac clac". Elle a l’air toujours aussi imposante et fière, le temps ne semble pas l’avoir fanée. Je la laisse encore un peu dans le noir. On s’expliquera plus tard, ma toute belle.


Je savoure mon café matinal, me plante devant la bête qui n’a jamais vu le jour depuis la cave, retire l’emballage et la toise, sourire aux lèvres. "Tu fais moins la maligne, là, hein ? " Je la tapote, "clac clac clac !‌" Elle s’emballe, "clac clac clac clac !‌" J’active le retour chariot, "dzing !‌" Je lui donne une feuille de papier, m’empare du cache mains qui servait à apprendre à taper à la machine sans regarder les touches et m’installe face à elle. Ma Japy, j’en ai des choses à te raconter, laisse-moi le temps.


Trois jours en juin


La libellule et le coquelicot


Assise sur mon banc de midi dans un bout de pré, j’accompagne du regard les gracieux mouvements d’une libellule courtisant un coquelicot, sous les rayons d’un soleil d’humeur badine. Les grains de poussière en suspension, ces lucioles de jour, m’entraînent vers un brin de quiétude au-delà d’un écran hurlant de vie : le vert cru de l’herbe, le rouge sang de la fleur, le bleu nuit de l’odonate, le jaune d’or de l’astre. Ne me dites plus que certaines couleurs ne se marient pas ; naturellement, toutes sont en parfaite harmonie.


D’impatients battements d’ailes, j’ai suivi Libellule, survolé une rivière au joli nom de Bérange. Je voulais voir les marées, je ne vois que des coquillages. Fossilisés, prisonniers du calcaire, de la garrigue. Un beau lieu, cependant, qui m’enserre de ses parois rocheuses, elles qui ont chassé la mer, capturé ses habitants dans un écrin beige clair. Alors je gratte de mes ongles et de toute mes forces pour les arracher à leur cercueil, en vain. Les doigts écorchés, enragée, je frappe la roche, encore et encore puis m’allonge sur la pierre. J’attends la nuit.


Au point du jour, des voix m’éveillent. Un homme, une femme. Deux silhouettes dans un halo de lumière, assises en tailleur. L’une d’elle me tend une tasse en plastique, un café. Sur la thermos, une libellule, sur la couverture qui me réchauffe, un coquelicot. « Nous descendons à l’étang de l’Or, viens avec nous » « La mer ? » « Presque, la beauté ». « Il y a des marées avec des vagues qui claquent ? » « Non, mais qu’importe, il y a la vie, des couleurs, l’harmonie » « Oui, qu’importe… » Nous continuons le voyage dans le plus grand silence. Je souris.


Trois jours en juillet

Une berline, noire, silencieuse, très rapide. Deux hommes, vêtus de sombre, discrets, très vifs. Une fille, encore habillée de sommeil, toujours habitée de ses rêves, les ignore. La nuit est dense, les pensées dansent, se lancent, se lacent, se délassent, sur les notes d'une sarabande. La clé du jour est accrochée au clou, la pluie claque des baisers contre les vitres. Déflagration. Les murs tremblent en silence. Le distributeur bancaire dynamité explose. Deux hommes repartent, vers l'Allemagne, vélocement et pleins aux as. Le radio-reveil crie au chant du coq. Je me lève, je n'ai rien entendu.


Maman m'a menti. Plus de cinquante ans. J'ai couru la vie cinq décennies sans H, me suis battue contre lui, depuis que j'ai su lire et écrire. Cela me tenait à cœur. Puis le doute m'a saisie, récemment. Lors d'un contrôle. J'ai alors vérifié à mon tour. Écrit noir sur blanc et sur l'acte de naissance, je l'ai lu fébrilement, mon prénom. Il contient cette lettre. Déflagration. Maman est tombée des nues, moi de stupeur. La donne a changé, je ne sais plus trop qui je suis. Je reconstruis doucement mon identité.


J'ai enfermé mes mots et idées dans une toute petite boîte en fer, à double tour, avant d'en glisser la clé sur un anneau, lui-même glissé sur une branche de laurier-rose. Pour sécuriser le tout j'ai apposé un cadenas dont j'ai jeté la clé au fond d'un trou de mémoire, le temps de me reposer. Je me suis allongée dans la fraîcheur et la pénombre, pour voyager les yeux fermés. J'espère qu'il n'y aura pas de déflagration, que mon neurone retrouvera la clé. C'est quand même chouette d'écrire.
Lix
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Message par Jean Paul 31.08.24 17:22

La compil
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Message par Lix 31.08.24 17:26

Oui m'sieur !
Lix
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