La cabane de la clairière
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Elle...

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Message par Phil BOTTLE 27.10.24 9:37

Elle...

Elle est moche.
Elle est vieille.
Elle n'a jamais été jeune.
Elle n'a jamais été belle.
Elle se déplace d'un pas décidé
Mais difficile.
Elle voudrait aller plus vite
Mais elle ne le peut pas.
De nature, elle est impatiente
Mais de culture, elle se fait parfois
Parfois, seulement, attendre.
Elle se protège d'un vieux parapluie
Qui lui sert tout autant d'ombrelle.
Elle craint l'eau, tout comme le soleil.
Elle est aussi facétieuse et s'amuse
Avec avec la peur qu'elle suscite
À presque tous les coups.
Et c'est à tous les coups qu'elle gagne.
Elle a toujours gagné.
Sauf deux fois :
La première, c'était quand elle s'était attaqué au temps.
Et la deuxième fois, à Jean.
Jean Vaillant.


Jean Vaillant, c'était un drôle de bonhomme. Enfin, il l'était avant qu'un drame ne le prive de son épouse et de son jeune fils unique, avant le camion faucheur.
Depuis, ne le rattachait à la vie que sa passion, non pour le jeu, mais pour les jeux. Et il jouait et pariait tout le temps. Comme avant car il était né joueur. Sur tout et sur rien. Et comme de ce côté-là, il était chanceux, forcément, il gagnait bien plus que son salaire, qui pourtant était conséquent car il était commercial international de haut vol. Chanceux, oui. Il l'était. Autant que malheureux.

Alors qu'il se rendait professionnellement en Indonésie pour une manifestation commerciale de grande ampleur, son avion se crasha et il fut l'unique rescapé. Trois cent douze victimes. Certes, il perdit l'usage de son bras gauche, il gagna de belles cicatrices, mais aussi une fortune en indemnité compensatrice, et surtout, le surnom de Trompe-la-mort.
Il n'avait plus besoin de travailler, sa rente lui permettant de vivre aisément sans rien faire. Mais il continua son activité, cédant ses salaires à des associations de secours aux veuves et veufs de catastrophes de toutes origines.
Il continuait à jouer, et à gagner, sans jamais mettre son patrimoine en danger.


Il est, dans un sombre pays que je ne nommerai pas, une forêt où nul ne s'aventure. Seuls des fuyards et des vagabonds errants s'y sont risqués. On ne les a jamais revus. Si elle s'appelle la forêt Maudite, c'est que l'on prétend qu'elle est le domicile de la Grande Faucheuse.
Trompe-la-mort en eut vent et se dit : « Et pourquoi pas ? » (il avait son idée.)
Le voici à l'orée de ladite maudite. D'un pas sûr, il pénètre par un sentier à peine praticable. Au bout d'un kilomètre, il entend un discret « Psittt ». Il s'arrête, ne voit rien. Le vent dans les feuilles sans doute. Mais de nouveau « Psittt ». Pas de doute, on cherche à entrer en contact.
Et effectivement, pas très loin, un arbre, de ses basses branches, lui fait signe de s'approcher.
« Approche, Jean, approche. Sache que tu est attendu. La Mort, ma reine, te connaît bien. Et elle connaît aussi ton surnom. Elle trouve que tu le mérites et elle apprécie fort ton courage. Aussi a-t-elle décidé de t'accorder un vœu. Un seul. Mais à une condition : ne pas lui demander de ne pas mourir. Tu vas suivre le chemin invisible que des branches frémissantes vont te baliser. Il te mènera à son véritable sanctuaire,  la clairière des huit pendus. C'est là qu'est venu, il y a longtemps, se pendre un groupe de fuyards égarés et victimes de champignons hallucinogènes. Là, tu lui adresseras ton vœu en silence. In petto, comme on dit. N'aie crainte, elle voit et entend tout. Mais n'oublie pas. Si tu veux être exaucé, ne demande pas de ne pas mourir, sinon, tu mourras au même instant. »
Et voilà Trompe-la-mort averti et souriant qui s'en va affronter la Camarde. Il suit les feuilles qui s'agitent devant lui, et arrive, déçu, dans une toute petite clairière. Il l'aurait crue plus grande. Enfin, il se positionne au milieu. Pivote sur lui-même pour essayer de l'apercevoir, mais non. Si elle est là, et elle est là, elle demeure bien invisible. Soudain, plus aucune feuille ne tremble. Il sait que c'est le moment. Tout va se jouer sur ce dernier pari fou.
« Ô toi la Puissante ! Accorde-moi de mourir, mais de mourir simultanément dans tous les lieux que j'ai aimés : ma ville de naissance, celle de mon enfance, celles de ma vie d'adulte, et tous les lieux, tous que j'ai trouvés beaux et que j'ai aimés ! »
Dépitée, mais souriante, la Mort, ne pouvant, sans se dédire, le tuer sur place, ni l'exaucer, laissa « la chose » en l'état, le temps de trouver la solution. En attendant, Jean a une nouvelle fois gagné son pari, et vit toujours... et elle, cherche encore comment faire.
Elle est désormais encore plus moche.
Elle de même encore plus vieille.
Ce dont elle se moque car
Elle n'a jamais été jeune.
Elle n'a jamais été belle.

Phil BOTTLE

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Message par Lix 27.10.24 21:24

sacré Jean, va !
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Message par Lix 27.10.24 21:26

(dis, tu nous posterais pas les "vieux pinceaux" ? j'avais adoré ce texte)
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Message par Phil BOTTLE 27.10.24 22:26

Comment refuser... avec plaisir et très honoré...


Le vieux pinceau.

Il regarda la mer et sut comme il était seul. Alors, il prit son cahier bleu, bleu comme la mer, et se mit à écrire, avec une encre rouge, ce qui lui passait curieusement par la tête:

«C’était un bout de plage. Un bout de plage sauvage, en extrémité d’un vieux village où le temps semblait s’être arrêté. C’était l’automne. Les rues étroites du village ne s’étaient pas encore refroidies. D’ailleurs, ces rues pouvaient-elles se refroidir? Nous étions sur les rives de cette mer que d’aucuns prétendent grecque, d’autres, romaine, d’autres enfin, sarrasine.

C’était un village, aux rues étroites, aux maisons arborant des façades blanches, d’où ressortait le rouge sang des fleurs de géranium pas encore endormies. Les toitures étaient des terrasses, utilisées comme étendages, débarras de plein vent où les hommes du village, pécheurs et cultivateurs confondus faisant sécher l’ail, l’oignon, et les piments, mais aussi les poulpes, les filets de bonite, de thon, voire d’espadon, et parfois, leurs œufs qu'ils séchaient au sel.

Les femmes y montaient en milieu de matinée, étendre le linge du jour, ramasser celui de la veille, et papoter avant de reprendre leurs activités. Les après-midi, ces terrasses devenaient le terrain de jeu des enfants qui s’y dépensaient plus que de raison, envahissant l’air de leurs cris, de leurs rires, et parfois de leur pleurs, le soir, le lieu où les hommes venaient prendre le frais, se détendre après les fatigues de la journée pour les plus jeunes, se reposer des fatigues et douleurs de la vie pour les plus anciens, et regarder qui le ciel, qui la mer, qui son champ, ces trois-là se partageant allégrement le village. La nuit, c’était alors le domaine des chats dont, étonnamment, la quasi-totalité était d’un blanc d’hermine. Ils se confondaient avec les murs des maisons et de leurs terrasses. Parfois, on les entendait miauler, feuler, se battre, et s'adonner au plaisir du rut. Le matin, on pouvait remarquer sur les murs des taches de sang, que seule l’humidité, abandonnée par les embruns marins, car il ne pleuvait jamais, finissait par effacer.

Mes pas m’avaient amené sur ce bout de plage, attiré par une vieille cabane en bois qui avait aussi dû être blanche, mais que le temps avait grisée et passablement agressée. Ces planches étaient un peu disjointes, et sa toiture hésitait entre l’envol et l’effondrement. Cependant, elle était là, bien ancrée dans le sable, comme défiant la mer et les vents marins, qui savent parfois être terribles.

Derrière la cabane sortait du sable, comme un gros serpent sombre, une vieille chaîne aux maillons rouillés, bien qu’encore solides. Le dernier maillon arborait comme on arbore un bijou antique, un anneau de bronze sur lequel, un temps, une esclave des maures, toujours présents et jamais loin, avait dû verser des océans de larmes. Ã cet anneau, un vieux cadenas, lui aussi rouillé reliait une autre vieille chaîne, toute autant corrodée, laquelle menait à une vieille barque en bois.

C’était une de ses barques qui n’avaient jamais connu le moindre moteur, et qui, à la seule force des bras, où avec l’aide du vent, parcouraient l’espace quasi infini de l'onde. L’emplacement des rames et celui du mât étaient encore bien visibles, mais il y avait bien longtemps que les rames ne caressaient plus la mer, que le mât ne tutoyait plus les étoiles. Ils avaient de concert quitté le bord, abandonnant sur cette grève leurs victoires, leurs défaites, leurs anciens rêves communs.

Pourtant, cette barque était encore belle. Elle paraissait neuve. Et pour cause, à ses côtés, un vieux pêcheur finissait de la repeindre. Je le saluai et entrai en conversation en le félicitant pour l’état de sa barque. Nous nous sommes assis sur le sable, il m’a offert un café qu’il tenait bien au chaud dans un thermos à l’ancienne: une bouteille de verre entourée d’une grosse serviette humide, et il m’a parlé. Longuement. Il m’a raconté l’histoire, où une partie de l’histoire de sa barque.

Son frère aîné l’avait faite construire il y a bien longtemps. Le père du charpentier de marine qui l’avait assemblée avait sans doute pu glaner sur les grèves des restes de «Trafalgar». Depuis, et pendant des dizaines d’années, ils sortirent tous les deux pêcher, quand l’anchois, quand la sardine, quand le maquereau, quand le thon, parfois le requin, rarement l’espadon. Les poulpes aussi, bien sûr, et les calamars, même les langoustes, mais curieusement, jamais ils n’ont remonté un seul homard, les eaux étant sans doute trop chaudes. La barque a toujours porté les mêmes couleurs: le bleu sous la ligne de flottaison, pour s’assortir à la plus jolie des couleurs de la mer, car, croyait-il, ce n’est pas le ciel qui se reflétant donne sa couleur à la mer, c’est l’inverse, la preuve, disait-il, c’est que «quand la mer est grise, le ciel l’est aussi»…(logique imparable), la coque était blanche, en l’honneur de l’écume des vagues, (moi, je pensais que c’était par économie, la même peinture que celle des maisons), les bancs étaient verts, comme les algues, et le fond était rouge sang, pour que la foudre n’aperçoive pas les taches de sang laissées par les poissons. J’étais surpris de cette dernière raison, mais, les croyances empreintes de paganisme sont encore légion…

Un jour où ils sortirent par mer calme et qu’ils étaient au large, une tempête se leva, sans signes avant-coureur, subite et terrible, comme toujours en cette mer, fidèle à sa réputation. Alors qu’ils s’empressaient de relever avant l’heure un lourd filet, pour rentrer se mettre à l’abri, une vague assassine les fit basculer tous deux par-dessus bord. Le vent et le courant poussèrent la barque bien plus vite qu’eux. Ils comprirent immédiatement que le pire était à craindre. Et le pire, bien sûr, arriva. Après avoir longtemps lutté contre les flots déchaînés, il fut retrouvé inconscient, échoué sur une plage, à quelques kilomètres d’ici. Mais aucunes traces de son frère. La barque, elle, fut retrouvée intacte, échouée également sur une plage de sable à plus de 40 kilomètres de là.

Elle n’avait pas souffert, ou si peu. Il la remit en état de son mieux, l’arma de nouveaux filets, de nouvelles lignes et, après quelques semaines, repartit en mer. Seul, désormais. Mais le temps qui s’écoulait pesait de plus en plus. Bientôt, il devint trop vieux. Alors, il la désarma définitivement et l’installa sur cette plage. Il construisit la cabane, et, tous les 4 ans, il quittait le village si proche, pour venir y vivre pendant environ trois semaines. Parfois plus, rarement moins. Il apportait avec lui son eau, son vieux Xérès dans un petit fût, et armé d’abrasif, d’étoupe, et de peintures, et d’un produit magique, il lui refaisait une beauté. C’est vrai qu’elle était belle, sa barque.

Mais, lui demandais-je, ne craignez-vous pas que des malfaisants viennent l’endommager, voire vous la voler?

Il esquissa un sourire, puis, fit sortir d’entre ses fines lèvres pincées un son que je n’entendis pas et soudain, je vis apparaître dans la barque deux scorpions jaunes, magnifiques, impressionnants par leur taille, inquiétants par l’horreur qu’ils inspiraient, qui, comme s’ils étaient dressés, répondaient à son appel. Et c’était bien cela.

Malheur à qui s’amusera à faire du mal à ma belle. Il serait immédiatement piqué. Rassurez-vous, leurs piqûres pour douloureuses qu’elles soient, ne sont pas mortelles. Et soyez doublement rassuré, ils ont vu et senti que vous n’étiez pas un mauvais personnage. Même si vous montez dans la barque, hors de ma présence, ils ne vous feront rien, car ils savent que vous êtes un ami.

Flatté d’être entrée en son amitié, je n’étais cependant pas trop rassuré.

La nuit, il dormait dans sa cabane, au toit vétuste, aux murs écaillés, qu’il n’entretenait pas. Seul comptait La barque. Le jour, il partait le matin à la nage poser à la main, à quelques 500 m du bord une ligne avec deux seuls hameçons, qu’il relevait vers midi et qui lui assurait, normalement, ses repas. Il faisait griller ses prises, empalés sur des bouts acérés de roseau, en réalité, de canne dite de Provence, que l'on trouve partout, dans un trou qu'il avait creusé à mains nues dans le sable, au fond duquel il faisait brûler et réduire en braise toute une réserve de bois flotté. Le reste de ses journées était réservé à l’entretien de la barque. C’est qu’âgé, il allait lentement. Très lentement.

Je revins tous les quatre ans, et, tous les quatre ans, nous entamions de larges discussions, parfois, nous ne disions rien. Je m’asseyais, il travaillait, nous étions devenus de vrais amis. Les gardiens effectivement, me reconnaissaient. Ils venaient même parfois se chauffer au soleil en montant sur mes genoux. Quand je lui proposais de l’aider, il remuait la tête en souriant et répondait: «… peut-être plus tard,… oui, plus tard… peut-être.»

Le temps, éternel fugitif, a passé et alors que je venais pour la quatrième fois, quelle ne fut pas ma surprise de voir que le toit de la cabane avait choisi l’envol. Ce devait être, à en juger des restes, par une sévère tempête de vent de mer. Passant la cabane, quelle ne fut pas ma tristesse de voir La barque sans ses nouvelles peintures, toute craquelée, abandonnée. L’intérieur de la cabane était vide de tout objet. Seuls de vulgaires déchets laissés là par des promeneurs peu scrupuleux jonchaient le sol. Je compris que mon vieil ami s’en était allé rejoindre son épouse et son frère.

Je n’avais plus rien à faire ici. Si, il me restait une chose à faire. Je partis sur la grève et longeai la mer pendant des heures. À mon retour, il faisait presque nuit. J’ai attendu que les étoiles se montrent, puis je me suis installé sur la barque. Là, je disposai au sol une myriade d’astéries que je venais de glaner, et restai assis, les yeux au ciel. Une sensation de picotement me fit redescendre sur terre. Sur mes cuisses, les gardiens me regardaient. Ils étaient trois désormais. Avaient-ils l’air triste? Est-ce triste un scorpion? Ils semblaient m’avoir reconnu, ne manifestant aucune animosité. Sans doute cette histoire de gardiens n’était qu’une invention de mon vieil ami, ces bêtes-là, malgré leur apparence et leur réputation, étaient probablement inoffensives, jouant de leur aspect qui, pour ma part, ne me répugnait plus.

Je m’allongeai sur le banc et m’endormis serein. La nuit fut calme, douce, et sans rêve. Parfois, ouvrant les yeux, je jugeais du temps passé à la position des étoiles. Au matin, au réveil, les gardiens avaient disparu. Mais, et là, je ne savais quoi penser, étais-je bien réveillé, mes étoiles de mer aussi. À leur place, … un vieux pinceau. Mystérieux échange !

Je filai au village, achetai de quoi me nourrir, des outils, du bois, un fût de Xérès, de l’eau, de quoi poncer, et de quoi peindre, des pinceaux neufs, et surtout des pots de peintures, bleu sous la ligne de flottaison, pour s’assortir à la plus jolie des couleurs de la mer, blanche pour la coque, en l’honneur de l’écume des vagues, vert pour les bancs, comme les algues, et pour le fond, du rouge sang, pour que la foudre, … la foudre ! n’aperçoive pas les taches de sang…

Je commençai par remettre en état la cabane, ce qui, à mon grand étonnement, fut aisé et rapidement mené. Mais je ne la peignis point.

Heureusement que, pour nourriture, j’avais amené de quoi car je ne posai pas sa ligne (que j’avais retrouvée dans le sable de la cabane, les hameçons rongés par la rouille) en nageant jusqu’aux 500 m, ayant horreur de l’eau (une façon détournée d’avouer que la nage n’était pas mon fort, bref, vous avez compris, je ne sais pas nager). Une canne à pêche m’a cependant offert, mais de rares fois, quelques grillades de poissons infiniment plus petits que ceux que ramenait mon vieil ami. Le sable était facile à creuser, et les bois flottés, toujours à portée de main.

S’attaquer à La barque, c’était autre chose. C’est que depuis, j’avais moi aussi pris de l’âge. Lentement, tâtonnant, elle fut mise à nu. C’est alors que je vis que le bois avait été attaqué par ces bestioles xylophages, hantise des hommes de mer. Je retournai au village acheter de quoi y parer, mais ne trouvai aucun de ces produits si maléfiques en somme, qui envahissent les rayons de nos magasins de bricolage. M’étant ouvert à des personnes que je savais proches de mon vieil ami, un d’entre eux me fit cadeau d’un sceau où reposait un mélange malodorant d’herbes et de minéraux broyés, qu’il me faudrait mouiller et touiller, mais seulement, impérativement, «après le coucher du soleil» (Encore ces croyances intemporelles). C’était le fameux produit magique, que j’avais oublié.

Je remerciai, retournai à la barque, et, en attendant la tombée du jour, perfectionnai le décapage. Ã la main, bien sûr. Je suai sang en eaux. C’est alors que je vis que des lattes de bois laissaient passer le jour. Certes, la barque ne naviguerait plus jamais, mais je ne pouvais la laisser ainsi. Heureusement, de l’étoupe, que j’avais négligemment oubliée, on en trouvait encore au village. Le jour enfin céda à la nuit, et je m’empressai de procéder au mouillage de la mystérieuse mixture qui viendrait à bout de ces nuisibles mangeurs de bois. A l’aube, et avant le lever du soleil, je badigeonnai comme un forcené. Mais mince, les gardiens! Ils sortirent tous les trois et vinrent se réfugier dans la cabane redressée. Quel imprudent! Me le pardonneraient-il?

Que ce fut long. Couche après couche, La barque reprenait ses couleurs, sa luminance, son allure. Enfin, arriva le moment où je pu La regarder sans ressentir le besoin d’en remettre une couche, expression jamais aussi adaptée. Je La laissai sécher trois jours. La troisième nuit, je vins m’y allonger. Les trois gardiens, qui l’avaient déjà réinvestie, vinrent se poser sur mes cuisses. Ils m’avaient pardonné.

Je restai deux jours de plus, à ne rien faire, puis quittai les lieux, ne sachant pas si cette fois, je reviendrai.

Quatre ans après pourtant, j’étais de retour, comme aimanté. Mais là, le choc. De la cabane, il ne restait plus qu’une trace brunâtre sur le sable, reste d’un tas de cendres. Je brûlais de rage. Quelques vandales étaient venus sacrifier à leur vice odieux. Je craignais le pire, et le pire, bien sûr…
De La barque, de Notre belle barque, seule une petite partie de la proue se dressait encore, symbole d’une résistance désormais inutile. Tout le reste était encore en partie présent, mais sérieusement calciné. Je restai abasourdi.

Assis sur le sable, adossé contre la proue, les yeux embrumés, je ne savais que penser. Je revoyais mon vieil ami partir à la nage avec sa ligne enroulée sous son bras, ses pinceaux à la main, je repensais à ses longs moments où l’amitié coulait dans nos veines. Soudain, un chatouillis sur mon épaule me fit tourner la tête. Un gardien. Un seul, était là. Je le pris dans ma main, e l’élevai à hauteur de mon visage, et nous sommes resté longtemps ainsi, à nous regarder, sans bouger.

Que se passa-t-il alors? Un charme de vieux sorcier? Je cru entendre la voix de mon vieil ami:

«Ils étaient deux. Deux jeunes. Du village. Deux jeunes que j’ai vu naître, et fait sauter sur mes genoux. Ils étaient déjà saouls quand ils sont arrivés et ils ont encore bu, mais bu… À la fin, ils se sont disputés. Un d’entre eux est monté sur la barque et a commencé à démonter le banc, sans doute pour s’en faire une sorte d’arme. Les gardiens n’ont pas failli. Ils l’ont sévèrement piqué en plusieurs endroits. Affolé, dégrisé, calmé, son comparse cassa une bouteille pour, avec un tesson, lui entailler les piqûres, croyant ainsi faire sortir le venin. Mais il l’entailla trop fort, et qui plus est, une artère. Et le sang jaillit plus que nécessaire. Ils s’enfuirent en courant, laissant derrière eux la barque ensanglantée. Ce n’aurait rien été si seul le fond eut été tâché, mais le banc, vert, et la coque blanche, …

Et la foudre l’a vu !
Je suis le seul scorpion survivant.

Voilà, tu sais tout. Maintenant, vois-tu, il me reste une chose à te demander. Mon épouse et mon frère partis, ma barque détruite, la cabane ne comptait pas, mais merci de l’avoir relevée, je n’ai plus rien à faire ici. Rester, pour quoi faire, garder un bout de bois calciné? Sois gentil. Amène-moi avec toi».

Je ne me faisais pas prier. Je quittai les lieux, le scorpion, mon vieil ami, sur l’épaule. Vous avez du mal à me croire n’est-ce pas? Venez donc me voir. Je vous montrerai chez moi, au-dessus de ma cheminée, sur une étagère, un vieux pinceau que surveille un vieux scorpion avec qui vient parfois jouer un vieux chat. Un vieux chat tout blanc… aux yeux rouge sang.







Phil BOTTLE

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Message par Lix 28.10.24 11:51

Vais faire ma chieuse, tu peux peut-être le publier dans une rubrique pour lui tout seul ! Il mérite mieux que d'être ici en commentaire :-)
Lix
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Message par Phil BOTTLE 28.10.24 12:53

Peut-être as-tu raison.

Phil BOTTLE

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