Le taille-haie de 18h
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Le taille-haie de 18h
(Posté en clin-d'œil à Jean Paul)
J'ai toujours avec moi quelques grains de terre, quelques grains de sable, quelques grains de tout, de rien, de menus cailloux, des fragments de silex. Le sol est sec, se craquelle. De ses failles émergent des morceaux d'ocre, autant de pépites provoquant le soleil en duel. Mon cœur est aride, fendillé. De ses blessures sourdent quelques jonquilles, autant de beauté m'apportant un sourire. Quelle étrangeté. Serais-je capable de rioter ? Je tente. Oui, incroyable. Je récidive et marque l'essai. Par chance, seuls quelques piafs sont témoins de mes grimaces.
L'église annonce dix-huit heures. Ma première journée de travail dans le courtil de Monsieur le Maire s'achève. Je m'assieds sur une souche d'arbre. Comment redonner vie à ce bout de terrain en friche ? Au-delà des thuyas de bordure complètement décharnés, la forêt. De quoi ce paysan a-t-il peur ? Qu'un sanglier, qu'une biche vienne piétiner son misérable lopin ? Ridicule. Tout cela est ridicule. Tout est mort par ici. Pauvre gars sur une pauvre terre. Ton fric ne pourra magnifier ton jardin tant que tu ne sauras le caresser avec autant d'ardeur que tu caresses ta maîtresse. Laisse-moi faire, c'est pour cela que tu me payes, non ?
J'empoigne l'instrument de torture. Massacre au taille-haie. J'admire le travail, une merlette et son jules postés chacun sur une de mes épaules. Le jardin et le sous-bois se font face, intimidés par la chute du paravent. Un silence gêné s'installe. Seules quelques feuilles poussées par le vent volettent et franchissent l'ancienne frontière. Avec pudeur les nuages se retirent derrière le rideau bleuté d'une nuit sans lune qui lentement s'abaisse. Une noirceur sans fond recouvre curieusement les habitations. Des yeux rouges pourfendent le labyrinthe de feuillus et foulent le territoire de Monsieur le Maire. Des bruits de sabots, des claquements d'ailes, des sifflements, des odeurs de fleurs, d'humus, de champignon et de glaise chatouillent mes narines. Le chahut s'amplifie, l'air est saturé d'arômes, des bêtes sauvages me frôlent.
Je m'affole et me replie dans la grange. Le merle et sa chérie s'allient aux nouveaux-venus. Je me barricade, sors de ma poche une pointe de flèche. Que veux-tu faire, ma fille, avec ce morceau de silex contre cette meute ? Je m'adosse à la porte, écoute la révolution qui s'opère de l'autre côté puis finis par m'endormir dans ce vacarme de cour d'enfants, de hall de gare, de... je ne sais pas. Ou si, de vie, et ça sent si bon !
Au petit matin, mon employeur hurle mon nom à ma recherche, me trouve dans ma retraite, me tire agressivement par les bras pour constater les dégâts. Dégâts, dégâts, que de grands mots ! Sa parcelle était déjà sinistre et inféconde, alors... Je me frotte les yeux et regarde, tout a été labouré, des branches et toutes sortes de racines recouvrent le sol, une souille a été improvisée, des baies roulent encore à terre, et toutes ces traces ! Voyant ce résultat, je ne peux m'empêcher de me réjouir et de rire franchement. J'ai toujours su que de la forêt parviendraient sève, souffle et vitalité à celui qui saurait les accepter.
Je ramasse et empoche quelques boules rouges, jette mon tablier et l'avance pécuniaire à la tête de Monsieur le Maire pour m'enfoncer dans les bois. Je trouverai de quoi me construire une cabane, une vie, une vraie.
J'ai toujours avec moi quelques grains de terre, quelques grains de sable, quelques grains de tout, de rien, de menus cailloux, des fragments de silex. Le sol est sec, se craquelle. De ses failles émergent des morceaux d'ocre, autant de pépites provoquant le soleil en duel. Mon cœur est aride, fendillé. De ses blessures sourdent quelques jonquilles, autant de beauté m'apportant un sourire. Quelle étrangeté. Serais-je capable de rioter ? Je tente. Oui, incroyable. Je récidive et marque l'essai. Par chance, seuls quelques piafs sont témoins de mes grimaces.
L'église annonce dix-huit heures. Ma première journée de travail dans le courtil de Monsieur le Maire s'achève. Je m'assieds sur une souche d'arbre. Comment redonner vie à ce bout de terrain en friche ? Au-delà des thuyas de bordure complètement décharnés, la forêt. De quoi ce paysan a-t-il peur ? Qu'un sanglier, qu'une biche vienne piétiner son misérable lopin ? Ridicule. Tout cela est ridicule. Tout est mort par ici. Pauvre gars sur une pauvre terre. Ton fric ne pourra magnifier ton jardin tant que tu ne sauras le caresser avec autant d'ardeur que tu caresses ta maîtresse. Laisse-moi faire, c'est pour cela que tu me payes, non ?
J'empoigne l'instrument de torture. Massacre au taille-haie. J'admire le travail, une merlette et son jules postés chacun sur une de mes épaules. Le jardin et le sous-bois se font face, intimidés par la chute du paravent. Un silence gêné s'installe. Seules quelques feuilles poussées par le vent volettent et franchissent l'ancienne frontière. Avec pudeur les nuages se retirent derrière le rideau bleuté d'une nuit sans lune qui lentement s'abaisse. Une noirceur sans fond recouvre curieusement les habitations. Des yeux rouges pourfendent le labyrinthe de feuillus et foulent le territoire de Monsieur le Maire. Des bruits de sabots, des claquements d'ailes, des sifflements, des odeurs de fleurs, d'humus, de champignon et de glaise chatouillent mes narines. Le chahut s'amplifie, l'air est saturé d'arômes, des bêtes sauvages me frôlent.
Je m'affole et me replie dans la grange. Le merle et sa chérie s'allient aux nouveaux-venus. Je me barricade, sors de ma poche une pointe de flèche. Que veux-tu faire, ma fille, avec ce morceau de silex contre cette meute ? Je m'adosse à la porte, écoute la révolution qui s'opère de l'autre côté puis finis par m'endormir dans ce vacarme de cour d'enfants, de hall de gare, de... je ne sais pas. Ou si, de vie, et ça sent si bon !
Au petit matin, mon employeur hurle mon nom à ma recherche, me trouve dans ma retraite, me tire agressivement par les bras pour constater les dégâts. Dégâts, dégâts, que de grands mots ! Sa parcelle était déjà sinistre et inféconde, alors... Je me frotte les yeux et regarde, tout a été labouré, des branches et toutes sortes de racines recouvrent le sol, une souille a été improvisée, des baies roulent encore à terre, et toutes ces traces ! Voyant ce résultat, je ne peux m'empêcher de me réjouir et de rire franchement. J'ai toujours su que de la forêt parviendraient sève, souffle et vitalité à celui qui saurait les accepter.
Je ramasse et empoche quelques boules rouges, jette mon tablier et l'avance pécuniaire à la tête de Monsieur le Maire pour m'enfoncer dans les bois. Je trouverai de quoi me construire une cabane, une vie, une vraie.
Lix- Messages : 841
Date d'inscription : 05/08/2024
Dolo Tarras, Phil BOTTLE, Jean Paul, Fid-ho LAKHA, Tinouch et Titi aiment ce message
Re: Le taille-haie de 18h
Bravo et merci pour ce moment ! En voilà de l'écriture !
Titi- Messages : 171
Date d'inscription : 08/08/2024
Localisation : Perpignan
Re: Le taille-haie de 18h
Merci Titi, moi tu me donnes un caillou et trois brins d'herbe et je suis contente :-)
Lix- Messages : 841
Date d'inscription : 05/08/2024
Titi aime ce message
Re: Le taille-haie de 18h
Excellente, cette séance de jardinage! Et toujours avec ces mots et ce style qui vous caractérisent ! Un grand Moment!
Fid-ho LAKHA- Messages : 468
Date d'inscription : 07/08/2024
Lix aime ce message
Moi aussi...
Moi aussi j'ai un grain. Mais il est dans ma tête... un grain de folie... ha ha ha... !!!
Phil BOTTLE- Messages : 307
Date d'inscription : 06/08/2024
Age : 69
Localisation : Au pays des vents
Lix et Titi aiment ce message
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