La cabane de la clairière
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Puisque tu pars

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Message par Franck Breitner 20.11.24 11:26

« Papy a embrassé le sapin. »


Chaque année, lorsque Noël approche, j'ai le cœur qui se serre, comme pris dans un étau. J'ai beau vieillir, danser avec les ans, je ne peux ôter de ma mémoire que mon grand-père a fait un AVC en alignant les cadeaux devant le sapin, avec mes parents. Il avait insisté pour les aider alors qu'il était très fatigué. Il n'aurait voulu rater cet étalage de jouets pour rien au monde. Il n'a pas eu le temps de lire, dans mes yeux, la joie d'ouvrir les paquets. J'avais cinq ans, je ne croyais plus au Père Noël, mais peu importait. J'avais pris du plaisir à simuler. Papy savait, lui, et c'était paradoxal, puisqu'il avait participé au mensonge. Mes parents m'avaient menti en me faisant croire que le  « barbu ventripotent » existait, et je me vengeais en leur laissant entendre que, pour moi aussi, cette délicieuse mascarade se renouvelait, chaque année, grâce à lui.
Juste avant la révélation, j'avais passé des heures devant la cheminée, à me demander comment il faisait pour remonter, même délesté. Le ramoneur s'était fait rare. La procrastination dont souffraient mes parents avait repoussé la date de sa venue.
Le Père Noël fait de la varappe, tout le monde sait cela, mais ressortir, sur le toit, la barbe et les cheveux maculés de suie, non, c'était impossible. Alors j'ai piégé mes parents en feignant d'aller me coucher, le soir de mon quatrième Noël, et je suis redescendu, à minuit, en m’efforçant de ne point faire craquer les marches, afin de me poster à un endroit de l'escalier où je pouvais les espionner, en plein travail, sans qu'ils me voient. Tout juste flairer mon odeur, mais ce n'était pas des chiens. Et puis, il y avait les senteurs de Noël pour dominer la mienne, le sapin, la neige recouvrant la crèche....
Le grand miroir du salon, accroché au mur et qui faisait face au buffet Henri II, me renvoyait leur image. Ils ne parlaient pas, s'exprimaient par gestes ; je me suis dit qu'ils connaissaient le langage des signes. Maman grimaçait en s'efforçant d'articuler, et papa se retenait d'en rire. Mon grand-père souriait en corrigeant le désordre de la précipitation. Car moins de temps cela durait, plus la possibilité de me réveiller grandissait.

L’autre jour, j'ignore comment, le grand miroir s'est fêlé.
Ce matin-là, j’étais descendu dans le salon et j'avais vu mon visage balafré. Une ride venue d’ailleurs me défigurait. Panser cette blessure avec du sparadrap eût été de mauvais goût. Je m’en abstins. Et changer de miroir m’eût coûté un bras. J’ai décidé d’accepter cette disgrâce.
C'est lui, ce petit lac vertical et glacé, qui était chargé de m'indiquer quand je commençais à vieillir pour de bon.
Je m'étais rasé, à plusieurs reprises, devant ce juge impitoyable, parce que j'avais la flemme de remonter les marches. Le Remington de papa traînait dans un tiroir du buffet. Je partais donc travailler, les joues comme du papier de verre.

J'ai attendu mon entrée en classe de CM1 pour tout leur avouer. Maman s'était fâchée sans crier très fort, et papa avait fait semblant de chialer comme un gosse.
« Notre fils nous a trahis. Pour le punir, on va revendre tous ses jouets et... »
« Mais je les ai tous rangés dans la vieille malle, au grenier, tu ne vas pas... »
Je les aimais bien, mais ils étaient parfois lourdingues. Papy n'était pas comme eux ; il avait fini sa vie chez nous plutôt que dans une maison de retraite où, au contact de véritables vieux, il aurait dépéri à vue d'œil. Ici, à la maison, ses rides avaient du mal à creuser plus profond son beau visage. Il boycottait le grand miroir du salon, mais chacun, dans la maisonnée, savait pertinemment qu'il s'enfermait dans la salle de bains pour en mesurer la longueur de chacune d’elles au moyen d’un décimètre qu'il m'empruntait sans me demander mon avis. Il notait le résultat dans un carnet, et je l’avais cherché, en vain, histoire de vérifier s'il était assez coquet pour tricher avec les chiffres.
Je me rappelais très clairement le jour où une vieille dame aux cheveux bleus est venue s'asseoir à côté de lui, sur le banc où il me surveillait tandis que je me jetais dans le vide, du haut du toboggan, sous les vivats de la foule. Les filles hurlaient et les garçons boudaient parce qu'ils étaient jaloux de mes prouesses casse-cou.
La vieille dame avait lu sa ligne de vie, et je l'avais vu inquiet après que j'avais signé quelques autographes, au creux d’autres mains, tellement plus fines et douces, appartenant à mes groupies. Papy était fier de moi, mais il m'avait confié que l'encre, à cause de la transpiration, s'effaçait vite, et qu'il ne fallait pas que je m'attende à recevoir de nombreux coups de téléphone. Il était plus doué que mes parents pour entrer dans mon jeu mythomane.
« Qu'est-ce qu'elle voulait, la dame ? »
« C'est une manucure, elle a trouvé que j'avais de jolies mains. Elle m'a conseillé d'en prendre soin parce que le cœur sur la main bat plus fort quand elles sont bien manucurées. »
Son âme de poète s'était exprimée mais il m'avait menti, j’en étais sûr. Je l'avais deviné à son regard fuyant. Elle avait dû lui dire qu'il mourait un soir de Noël.
« Je ne peux pas vous dire en quelle année, mais c'est écrit là, dans votre main. Je vois un sapin et vous qui vous effondrez dessus, éparpillant les boules de Noël et fracassant le train électrique acheté, par votre fille, au troisième étage des Dames de France. »
C'était probablement vrai puisque maman avait toujours été fidèle à ce grand magasin, ma lettre au Père Noël à la main.
« Vieille folle ! Quittez ce jardin public immédiatement ou j'appelle le gardien ! »
Elle avait disparu dans un tourbillon de feuilles d'automne. C'était l'été indien et certaines flèches visaient juste.

Imaginer comment le grand miroir du salon avait reçu un coup de sabre. Au cours de la nuit, un hussard s'était pointé, ivre, et avait cherché des noises à son reflet. Qu'il avait probablement pris pour un autre hussard, aussi éméché que lui. Il avait dû se demander si Dieu autorisait des frères jumeaux à se battre en duel.
« Pas avec l'arme blanche qui te sert à tuer l'ennemi ! »
« Avec quoi, alors ? Une fourchette ? Un coupe-papier ? »
« Essaie à mains nues ! »
Il n'avait pas cherché à comprendre à qui appartenait cette voix, il avait frappé. Il était ivre, il ne comprenait pas pourquoi il saignait de la main alors que l'autre, son alter ego, avait reçu un coup de griffe. La plaie n'était pas belle à voir. Il s'était enfui, retournant s'encaserner dans la malle aux jouets, avec les autres soldats de plomb. Il avait tout tenté pour ne pas me réveiller. Il avait réussi puisque j'ai découvert la balafre, quelques heures plus tard, tandis que l'aube faisait sortir la ville de sa torpeur.
Je n'ai pas attendu longtemps, j'ai grimpé les marches accédant au grenier et j'ai ouvert le couvercle de la grande panière. Avant même d'être rassuré ou déçu, je me suis félicité d'avoir conservé mes jouets. J'avais dû négocier avec ma mère. Je venais d'entrer au collège. Une note en dessous de 15, en français, et ils passaient à la trappe. J'ai dû passer en revue les mains de ma douzaine de hussards de la Grande Armée. Aucun d'eux n'avait les doigts tout cabossés. Je suis redescendu en faisant très attention à ne pas me rompre les os. J'avais la tête qui tournait comme si j'avais bu plus que de raison. Les marches ont tangué jusqu'à l'étage inférieur, celui de ma chambre. J'ai regretté le toboggan de mon enfance. Glisser sur son derrière, c'était dangereux uniquement parce que je n'étais point adulte.

Le décès de mon grand-père a transformé le froid de l'hiver en séjour sur la banquise. La sensation que la chaudière était tombée en panne, que portes et fenêtres s'étaient toutes ouvertes en même temps et refusaient de se refermer. J'ai basculé dans le camp des adultes sans avoir l'impression de trahir ma génération. C'était un monde nouveau. Il y faisait froid même lorsque je prenais un bain chaud. C'est là que je me vautrais pour oublier que j'étais également en deuil d'une partie de mon jeune passé. J'y entendais, les yeux clos, mon grand-père toquer à la porte de ma chambre. Je jouais avec mes soldats de plomb et dès qu'il apparaissait, je leur donnais quartier libre et j'allais me pieuter. Alors papy éteignait la lumière et il me racontait sa propre enfance, quand il serrait ses nounours contre lui parce qu'ils avaient peur du noir. Il s'endormait et lorsqu'il se réveillait, au cours de la nuit, ils étaient là, montant la garde autour du lit.
« Il est encore venu pendant que je dormais, c'est ça ? »
« Oui, petit maître. Il a menacé de réveiller tes parents pour leur dire que c'est toi qui as décroché les boules du sapin. »
« Mais ils le savent que c'est moi. »
« Oui, mais lui ne sait pas qu'ils savent. »
Le présent d'alors refaisait surface.
« Mais, papy, pourquoi as-tu décroché les boules ? »
« Pourquoi ? Parce qu'elles faisaient plier les branches du sapin, et je voulais plutôt des guirlandes. Elles sont plus jolies, toutes semblables à la queue d'une étoile filante, et surtout plus légères. Je déteste qu'on maltraite les arbres. »
« Mais le sapin, il a été coupé à la base du tronc. Il est cul-de-jatte. »
« C'est marrant ce que tu dis, mais non, non. Il est en pot. On le replante dans le jardin jusqu'au Noël suivant. »

Ainsi, chaque Noël, mes parents et moi restions sobres. Nous nous regardions comme si nous découvrions notre ressemblance devant la bûche qui, une fois n'est pas coutume, avait la gueule de bois. Mon père nous parlait de ses souvenirs d'enfance, mais le cœur n'y était pas. C'était comme s'il était déjà vieux. Ma mère ne disait rien, se refusant à pleurer pendant que les autres familles comptaient les minutes avant de faire renaître Jésus de Nazareth. C'était pourtant l'occasion d'apprendre comment avaient grandi mes parents, surtout maman. La crèche, j'étais le seul à entendre chanter ses occupants, tête levée vers le ciel, mains jointes, invoquant celui dont je niais déjà l'existence.
« Il t'a pris sur ses genoux, papy, pour te montrer comment on berce une poupée ? Ou c'est mamie qui s'y est collée ? »
Elle n'aurait pas répondu, baissant la tête et se noyant dans la contemplation de son verre de Champagne dont les bulles évoquaient les étincelles qui brillaient encore dans ses yeux.
Je n'avais pas connu ma grand-mère, mais elle était forcément formidable puisqu'elle avait épousé papy. J'avais vu des photos affreusement jaunies qui la représentaient jouant au badminton. Elle était bizarrement vêtue, les cheveux coiffés d'une étrange façon, ce qui ne l'empêchait pas d'être jolie. J'aurais tant aimé sentir ses doigts courir dans mes cheveux avant de m'endormir, le soir, dans la pénombre de la chambre, puis sa bouche baiser mon front.

Mes vieux parents ne sont plus là. Ils ont migré quelque part, dans le ciel, et je suis resté seul avec mes souvenirs, sentinelle de notre passé en commun, garant de la mémoire des murs. Quelque chose me turlupinait néanmoins. Quelque chose à changer. Il était temps que l'envie me prenne. Je ne pouvais que me réjouir d'avoir rencontré Miranda qui avait accepté de venir vivre à la maison. Deux mois que je la connaissais, et l'impression de l'avoir toujours connue. Peut-être dans une autre vie, sous une autre apparence, moi la nana, elle le mec. J'avais du mal à l'imaginer en jean et tatouée de la tête aux pieds, avec des biscoteaux gros comme des cuisseaux. L'image m'amusait, et me faisait parfois hurler de rire. Sa rousseur et l'émeraude de son regard la rangeaient dans la catégorie des femmes fatales. Mais elle était restée simple, dans le déni de sa plastique. Le long des boulevards, elle marchait en regardant par terre, tant elle redoutait les carnassières œillades des mâles possédés par la fringale.
« Tu vas finir par trouver des pièces d'or. »
Elle gloussait.
« Tu crois qu'ils préfèreront l'argent au sexe ? »
Elle était si jolie au cœur de l'outrance. Elle ne se maquillait que très peu et faisait de même avec les mots.
J'avais décrété qu'elle méritait un plus beau miroir que celui dont la balafre hantait le salon, toujours face au buffet Henri II dont un brocanteur m'avait révélé qu'il n'avait plus aucune valeur, qu'il en avait eu, jadis, mais plus maintenant.
Celui de la salle de bains était trop petit pour tant de beauté dévoilée. Je me rappelle quand, collégien, j'étais jaloux des garçons du lycée qui se baladaient au bras de superbes créatures. J'aurais pu partir à leur recherche, histoire de leur parler du pays de ma conquête, mais ils étaient mariés maintenant, et je n'étais point assez rancunier pour m'aventurer sur ce terrain-là – était-il miné ?
Si, un jour, Miranda venait à me quitter, ils l'apprendraient et sauraient me rendre la pareille au centuple, avec une fatwa survolant ma tête tel un drone – eux, oui, étaient rancuniers.

Il m'arrivait de prendre le large, le dimanche, à l'heure de la messe. Je me rendais dans les villages de l'arrière-pays. Les cloches me rappelaient que j'avais une petite idée derrière la tête. Elle se cachait bien. Les vide-greniers me permettaient de faire le vide, de me ressourcer. Paradoxal. La nostalgie, je la préférais sortant d'une visite sous les combles. Lorsqu'un brave homme vendait sa collection de soldats de plomb, je me retenais de lui parler de la mienne, dont chaque élément n'avait point besoin de la pleine lune pour reprendre du service. Il suffisait que j'en aie envie.
« J'ai des hussards de la Grande Armée de Napoléon. Si vous les voyiez, vous seriez capable de venir me cambrioler. Car il est hors de question que je m'en sépare. De toute façon, vous n'auriez pas le courage de les brader. C'est la meilleure garde rapprochée que je connaisse. C'est juste dommage que certains boivent en cachette et se battent entre eux. Ils oublient, le temps d'une bonne cuite, qu'ils sont frères d'armes. »
« Et quand ils ont la gueule de bois, que devient le bronze ? »
Ce jour-là, je suis métaphoriquement tombé sur un miroir posé contre un vieux meuble dont les termites avaient fait leur ordinaire. Le bonhomme se comportait comme un brocanteur et parlait de devis. Il avait apprécié que je ne sois pas dupe de son cinéma, et il avait reconnu que son miroir manquait de vécu.
« Il est néanmoins impossible de le fêler, cher monsieur. Comme un œuf inoxydable dont le poussin est prisonnier jusqu'à mourir étouffé. Vous pouvez vous amuser à le lapider avec de gros galets, il ne se ridera pas. Il peut même servir de bouclier si vous êtes en guerre. En plus, il reflétera sa propre image à votre ennemi. Il se trouvera tellement laid qu'il désertera le combat. »
J'avais apprécié sa dérision. J'avais négocié le prix et l'avait réduit de moitié. Je me suis dit que Miranda pourrait enfin tester sa chevelure sans cette balafre lui faisant comme une raie de coté.
Mais qu'allait-il advenir de l'autre ? J'ai demandé conseil au brocanteur du dimanche qui m'a répondu que je pouvais l'installer dans le potager, histoire de chasser les merles, friands de fraises et de framboises.
« Il attirera les rayons de soleil qui y ricocheront. Un véritable tir de chevrotine. Aucun merle n'osera squatter votre jardin. »
« Oui, c'est une bonne idée. Je vous remercie. Je reviendrai peut-être vous voir pour vous montrer ma collection de hussards de la Grande Armée. »
« Avec plaisir. Mais une photo suffira. »
« Bien sûr. Surtout qu'ils sont en permission de longue durée. »
Miranda s'était déclarée enchantée par ce miroir. J'avais dégainé mon décimètre pour prendre ses dimensions. Il était deux fois plus petit que celui qui ornait le salon avant de devenir le troisième témoin du décès de papy.
L'autre avait conservé l'image de mon grand-père embrassant le sapin, et j'avais failli le jeter dans la benne à ordures. Cette idée qu'il puisse être utilisé à la manière d’un épouvantail me paraissait judicieuse. Son remplaçant était visiblement exempt de rides, donc sans mémoire. Il tenait très peu de place et Miranda recouvrerait le plaisir de se regarder avant de quitter les lieux pour aller travailler. Et si quelque chose clochait, au niveau de sa coiffure, elle remettrait de l'ordre dans l'armée de ses cheveux dans un grand sourire.

Je n'aurais pas dû vous parler de nostalgie car j'en ai été victime, un beau matin. Miranda m'avait appelé parce qu'elle avait une bouffée d'amour, comme elle disait. Attention qui, tombant au bon moment, m'avait fait un bien fou. Son instinct était aussi animal que sa démarche était féline.
Je suis allé faire un tour dans le jardin public de mon enfance, où le vieux toboggan finissait de rouiller. De loin, il ressemblait à un insecte fossilisé. Une mante religieuse. Les enfants ne s'y risquaient plus, craignant probablement de se râper les fesses, ou de se faire bouffer. Peut-être parce que les filles n'y venaient plus, préférant surfer sur Internet. Je me suis assis sur le banc où mon grand-père avait rencontré la vieille dame aux cheveux bleus. Je l'ai revu qui pâlissait, puis retirait sa main. J'aurais dû lui hurler, du haut de mon plongeoir, de se méfier car les sorcières aux cheveux bleus n'existent que dans les romans d'épouvante. Il ne m'aurait point entendu, de toute façon.
Mais pourquoi ne s'était-il pas contenté de donner à manger aux pigeons ? Lorsqu'il était de bonne humeur, il s'arrêtait chez le boulanger, qui lui gardait du pain rassis. Ce jour-là, il s'était levé avec un mauvais pressentiment et faisait la gueule. Ce qui ne l'avait pas empêché de m'accompagner sur mon terrain de jeux préféré. Etais-je indirectement responsable de sa fin annoncée ?
Stupide.
J'ai cessé de voyager à rebrousse-temps car je sentais que mes larmes souffraient de claustrophobie. Je clignai plusieurs fois des paupières dans le but de refermer la porte qui commençait à bâiller. Quelques-unes s'échappèrent, malgré mon veto, et je pestai.
« Quelque chose ne va pas, cher monsieur ? »
Elle était arrivée dans un silence surnaturel. S'il y avait eu des cris d'enfants... Mais là, je n'avais aucune excuse. Les voyages dans le temps rendent-ils sourds ? Uniquement ceux qui revisitent le passé ?
La jeune femme me prit la main d'un geste vif. Je tournai la tête et tombai des nues. Elle avait les cheveux bleus et son visage radieux captiva mon regard. J'ai eu honte de penser qu'elle était plus belle que Miranda. Ses yeux, d’un azur profond, étaient assortis à...
Elle était tout de bleu vêtue et sa peau redéfinissait ses frontières d'un fin liseré rose. J'étais en train de fantasmer. Je dus me ressaisir.
« Qu'est-ce que vous faites ? »
« Votre ligne de vie m'a appelé. Je dois vérifier si... »
« Vous ne vérifierez rien du tout. Maintenant, laissez-moi tranquille ! Moi, c'est la solitude d'un instant qui m'a appelé. »
« Cet instant est passé, cher monsieur. Vous êtes troublé, je vous comprends. Vous ne m'avez pas vu ni entendu venir et vous vous dites que je suis un fantôme, n'est-ce pas ? »
« Mais pas du tout. »
Ma main mollissait dans la sienne.
Son visage se pencha et elle la fixa qui se décrispait. Elle la retourna sans difficulté. Elle sourit, mais son sourire se changea aussitôt en grimace.
« Cher monsieur, vous allez mourir presque centenaire. Mais je vois quelque chose qui... qui ne vous plaira pas. Miranda. Miranda, votre amie, elle vous trompe, et va bientôt vous quitter pour un homme beaucoup moins tourmenté que vous. »
« Mais… Vous êtes folle ! »
Je retirai ma main. Le mouvement brusque fit s'envoler une mésange bleue qui pépiait sur une branche basse de l'arbre préposé à fournir de l’ombre à celles et ceux qui papotent sur le banc.
« Et... comment savez-vous que... »
La jeune pythonisse avait mystérieusement disparu. Je ne l'avais pas plus entendue partir que je ne l’avais entendue venir.

Enervé, je me suis délassé en me baladant le long du boulevard. Imitant un autiste, j'avais éprouvé le besoin de toucher, du bout de l'index, les platanes alignés tous les dix mètres. Cela m'a pris une bonne heure. Le temps de ralentir le tempo de mon cœur.
Il n'y avait pas de doute, j'avais croisé la route de la fille de la vieille dame aux cheveux bleus qui avait annoncé le pire à mon grand-père. La vioque ne s'était point trompée, et je fus soudain pressé de rentrer afin de vérifier. Vérifier quoi ? Miranda n'avait pas fini journée.
De retour à la maison, j'ai immédiatement remarqué que quelque chose avait renié la routine. Cette odeur de parfum. Celui de Miranda. Mais puisque...
Puisque ce n'était pas l'heure de se retrouver, comme chaque soir...
Miranda. C'était toujours un plaisir de prononcer son nom. Pas ce jour-là.
J'avais grimpé les marches, deux par deux, pour la rejoindre à l'étage. L'occasion de la surprendre sous la douche et de...
Ce silence.
Je me suis précipité dans la chambre, et j'ai vu le bordel. Elle avait pris l'essentiel, oubliant volontairement le cadeau que je lui avais offert à l'occasion de son anniversaire, le premier depuis que nous étions amants.
Elle avait profité de mon absence pour faire ses valises. La jeune femme aux cheveux bleus avait-elle fait diversion ?
Mais non ! C'est moi qui avais décidé de jouer la montre.
Elle avait eu de la chance que je ne rentre pas immédiatement.
J'ai poussé un cri de loup qui vient de glisser sa patte dans un piège. Je me suis emparé du cendrier qui trônait sur la table, et que je n'avais jamais osé déplacer depuis que mon père était décédé.
Je l'ai jeté sur le nouveau miroir qui n'a même pas été ébréché. Il me rata de peu après avoir ricoché tel un caillou à la surface d'un lac. Il atteignit l'une des colonnades du vieux buffet Henri II et explosa. Le bois avait vaincu le verre.
Je vis mon image. Je n'étais pas beau à voir.
Alors j'ai machinalement allumé la radio. Le poste se trouvait sur le vieux meuble.
J'ai cru défaillir. Cette chanson...
La sensation que le monde me narguait. Que j'étais la cible d'une armée d'archers. Que, si j'ouvrais la porte-fenêtre, une météorite tomberait sur la maison. Je me suis enfermé à double tour et j'ai écouté la chanson en pleurant.
Alors j'ai détesté Jean-Jacques Goldman.

Puisque l'ombre gagne
Puisqu'il n'est pas de montagnes
Au-delà des vents, plus hautes que les marches de l'oubli
Puisqu'il faut apprendre
À défaut de le comprendre
À rêver nos désirs et vivre des « ainsi soit-il »

Si seulement ce satané cendrier avait percuté le poste...


Dernière édition par Franck Breitner le 20.11.24 23:04, édité 1 fois
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Message par Lix 20.11.24 16:34

Joli.
Vous m'avez appris le terme phytonisse.
Car moins (ou plus ?) de temps cela durait, plus la possibilité de me réveiller grandissait.
Miranda n'avait pas fini (sa ?) journée.
Lix
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Franck Breitner aime ce message

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Message par Franck Breitner 20.11.24 16:47

Vous avez mal placé le h.
PYTHONISSE Rolling Eyes
Franck Breitner
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Message par Lix 20.11.24 16:49

Aaargh !
Lix
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