Tapas en dalle (Jean Paul/Lix)
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Tapas en dalle (Jean Paul/Lix)
- Tapas en dalle :
Au fond d’un ravin j’ai trouvé une étrange dalle : dans les tréfonds de ce drôle de canyon aux parois de ruffe rouge travaillée par l’érosion, mes pieds ont heurté un incroyable bloc d’argile constellé de traces de vie. Je le vois là, dans cette lumière de sang, tel que le vieil homme de Dio-et-Valquières me l'a décrit. "Des pas de dinosaures." avait-il dit ; je ne voyais sur le sol qu’une suite d’empreintes floues en forme de croissant : l'ancêtre avait assurément galégé pour faire l'important. Les fortes chaleurs, et de belles gorgées de Picpoul entre deux tapas avaient suffi pour déclencher chez ce brave le récit de ses aventures extraordinaires ; j'avais alors patiemment écouté, noté quelques informations archéologiques. À son grand regret, le papé n’avait pas fait d’études de paléontologie ; pour compenser ce manque de légitimité (c’était un autodidacte), il égrenait en latin avec délice et gourmandise les noms de reptiles pré-mammaliens disparus : Brontopus circagiganteus, Lunaepes ollierum, Merifontichnus thaleris… L’image et les mots de l’homme s’effacèrent brusquement de mon esprit quand une buse au vol désorienté vint me percuter puis cracher un objet à mes pieds avant de reprendre sa course folle ; j’ouvris un petit sachet de tissus animé, tombai sur mes fesses de surprise : un escadron de fourmis bleues envahit la pierre antique et disparurent dans l’une de ses failles. Leur efficacité et leur rapidité d’action, à la manière d’un commando surentraîné, laissait penser qu’elles savaient parfaitement quelle était leur mission.
Je fixai l’horizon quelques instants, m’attendant à voir réapparaître le volatile pour me donner quelques instructions, mais non… je baissai le regard, vis un morceau de papier dans l’ouverture de la bourse, sur lequel je lus ces quelques mots : Rejoins l’autre bout du tunnel, dans la grotte tu trouveras d’autres empreintes, suivis de coordonnées GPS, le tout signé D. J’avais depuis bien des lustres surmonté ma crise d’adolescence et renâclais à l’idée de me lancer dans cette aventure très “Carrollienne”, cependant ma curiosité maladive prit très vite le dessus et, me pliant à ce jeu de piste, je me lançais sur les traces du mystérieux D. Je fournis les données à mon cellulaire qui par chance était gonflé à bloc, il m’indiqua que ma destination était à quelques enjambées gargantuesques ; je récupérai la bourse à fourmis en me demandant si le vieux du troquet s’était présenté mais n’en avais aucun souvenir. À la hâte je me dirigeais vers le “bout du monde”, cul de sac du canyon barré par une cascade dont la présence semblait totalement incongrue en ces lieux. Aventurier chevronné, je connaissais mes classiques : mon objectif, à n’en pas douter, se trouvait derrière la chute d’eau. Les cartes ne mentionnaient pas cette belle bleue, je tendis vers elle mes mains jointes pour recueillir quelques gouttes souhaitant étancher ma soif mais l’eau reçue s’évapora… tout comme la cascade elle-même. Je vis alors une énorme cavité dans la roche, très sombre, de laquelle provint un sifflement de train… et un vieux banc de bois se matérialisa. La banquette était adossée à une sorte de grand anneau au-dessus duquel était écrit : "Le temps n’existe pas". Ce grand cercle paraissait vide mais lorsque je m’assis sur le banc, des vaguelettes se mirent en action et des points lumineux apparurent dans le fond de la structure, laissant deviner un monde étrange. Est-ce toi, Denise, là-bas au bout, est-ce toi qui fabriques tout ça ? Je vois des pas, là, on dirait des traces de bottines, comme celles que tu aimais tant. Les sentiments à fleur de peau, je sombrai dans le souvenir.
Denise, oui Denise !
Ce ne pouvait être qu’elle qui tirait les ficelles de ce jeu surprenant.
On entendait d’abord le bruit de ses pas : tic tac, tic tac, tic toc, tic toc…
Tic tac, tic tac, voilà l’arnaque.
Tic toc, tic toc, oui je t’escroque.
Sa réapparition dans notre réalité ne laissait présager rien de bon.
Haute comme trois pommes, ou plutôt comme trois centimètres, j’avais déposé il y a une quinzaine d’années, celle que j’avais moi-même créée, sur le quai de la gare alors que je savais pertinemment qu’elle aurait préféré être aux commandes de la locomotive. Au petit matin, elle avait disparu ainsi que mon train électrique, deux oursins fossilisés et mon carnet de notes. Les rails étaient disposés au travers d’une vitre brisée sur laquelle était gravé "je reviendrai". J’étais son créateur et l’avais appelée Denise. Quelle drôle d'idée ! Elle avait dès le début développé pour moi, une vénération dévorante, exclusive, malsaine et dangereuse pour mon entourage. Pris de peur, je l'avais alors lâchement abandonnée. Elle qui me considérait comme son père, son unique amour, ne pouvait se résoudre à ce que je ne réponde pas à cette passion. Rejetée, elle s’était enfuie et tapie dans son monde parallèle, où elle ne rêvait que de retour et de vengeance. Du moins c’est ce que je me dis, orgueilleusement, qu’elle voulait m’en faire baver ! J’étais donc, là, bras ballants, assis sur un vieux bout de bois à l’entrée de la bouche béante d’une station ferroviaire encastrée dans la roche, à l’arrière d’une chute d’eau intermittente qui se mettait en œuvre et s’arrêtait comme s’il y avait un interrupteur. Quelle absurdité… Coupant court mes pensées en plein délire, l’écran de mon téléphone vibra et s’illumina "Si tu veux revoir ton précieux calepin, tu sais, celui que tu cachais à ta femme, grimpe à l’échelle de corde qui se déroulera devant toi à minuit douze". La garce! Elle avait trouvé le journal intime que j’avais scotché sous le tiroir de mon bureau.
Ce petit recueil écrit il y a bien longtemps était rempli de pensées inavouables, jalousie, haine, sexe, souvenirs honteux…
Ce que j’avais écrit appartenait au passé mais aucun regard autre que le mien ne devait y accéder.
J’aurais dû brûler ce carnet.
Ruminant de noirs desseins je guettais l’heure fatidique.
Une échelle rose (oui, rose ! elle avait vraiment décidé de m’emmerder jusqu’au bout !) se matérialisa. Monter ? Descendre ? Tel que demandé, je décidai de grimper, grimper, grimper et encore grimper, jusqu’où devais-je aller? Jusqu’à ce clou, cet énorme clou, planté à ciel ouvert dans un brin d’air, sur lequel pendait une clé, précédée d’un cadenas. La tête du clou était trop grosse pour glisser l’un et l’autre. Était-ce la clé du cadenas ? Impossible. Il me fallait donc trouver celle qui débloquerait tout ça pour la récupérer. Mais pour quoi faire, pour ouvrir quoi ? J’étais noir de colère, j’en déchirai le sac à fourmis, maudit la buse, cet oiseau de malheur. Sombre crétin que j’étais ! Le cadenas était muni d’un système à code. Facile ! Sans douter une seconde, j’alignais les 6 molettes : D-E-N-I-S-E (c’était tellement évident). Le ciel s’ouvrit alors, vomissant la minuscule créature armée d’un étrange vaporisateur. Un rictus effrayant tordait son visage. Devant cette image grotesque, je ne pus m’empêcher de rire, ce qui déchaîna la colère de la dame. Elle déclencha son arme de poupée Barbie ; aurait-elle souhaité me transformer en Ken et me rendre esclave ? Allez savoir, toujours est-il que son pétard d’opérette lui explosa entre les mains et qu’une espèce de masse visqueuse m’enveloppa. Je fus projeté, tout englué de vert, pile sur le bloc d’argile du début de cette histoire. J’imagine que je devais ressembler à un alien… avec une clé en main. Je me réveillai en sursaut, couvert de sueur ; je voulais hurler mais ne pouvais pas. Au prix d’un effort surhumain, je réussis néanmoins à me lever. J’étais seul dans la pièce. Encore sous le choc, je me servis un verre d’eau. Reposant le godet sur la table de nuit, mes yeux se portèrent sur une minuscule breloque, une gourmette sur laquelle, malgré la pénombre, je parvins à déchiffrer : DENISE. Je crois que j'ai perdu la raison, ce jour-là sur un quai de gare, lorsqu'en partant elle m'offrit un baiser. Je compris qu'elle ne reviendrait pas. J'aurais pourtant tout supporté, tout enduré.
Lix- Messages : 505
Date d'inscription : 05/08/2024
Titi aime ce message
Re: Tapas en dalle (Jean Paul/Lix)
Histoire rapatriée d'un autre support.
Lix- Messages : 505
Date d'inscription : 05/08/2024
Re: Tapas en dalle (Jean Paul/Lix)
Ça marche, l’imagination !
Titi- Messages : 129
Date d'inscription : 08/08/2024
Localisation : Perpignan
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