Et le plafond se brisa / Nuit torride (Fid-ho/Jean Paul/Lix)
Et le plafond se brisa / Nuit torride (Fid-ho/Jean Paul/Lix)
- Et le plafond se brisa / Nuit torride:
Un étrange bâtiment émergeait d’un océan de dunes, les vagues venaient s'échouer hors le temps, avec langueur, au pied de ses fondations. Ses hautes parois, d'un froid métal noir, reflétaient les rayons d'un soleil finissant, dans une explosion de pourpres orangés aux franges violacées. Qui aurait pu penser que sur cette île perdue de l’Atlantique, une telle construction avait, pendant la guerre d’Espagne, servi de refuge aux lépreux de l’armée du Caudillo. Nullement intimidé par l’évocation de ce passé peu reluisant, j’entrebâillai avec peine la monumentale porte de fer. D’un regard en arrière, je m’assurai de la présence silencieuse de mon embarcation fortement attachée à l’un des anneaux couleur rouille de l’arche de pierre, celle au nord, la plus accessible. Comment ce petit bout de terre pouvait-il supporter ces constructions ? Je n’eus pas le loisir de poursuivre mes pensées, un courant d’air me poussa dans la "cathédrale".
Car c'était bien un antre minéral dans lequel Éole me poussa : Je me trouvai le nez contre une colonne de basalte. La pleine lune, par la porte entrouverte, révéla sa jumelle à ma droite. À la fois, curieux, incrédule, émerveillé, mais inquiet, je demeurai un instant immobile, le temps de m'habituer à la pénombre. Puis les pas résonnèrent, au fur et à mesure de ma progression, conférant une note sinistre à la situation... Mes grosses chaussures de rando écrasèrent ce qui me sembla être une canette ?! Sombre idiot ! La frontale sortie du sac, j'hallucinai à la vue de graffitis sur le mur de grès rose, au fond de la salle ! Visiblement, ce lieu fut naguère abandonné puis squatté ! Mais pourquoi ce coffrage de métal autour de cet édifice de pierre ? Quelle était donc son histoire ? Allais-je ouvrir l'imposant battant de bois sculpté, conduisant vers un autre inconnu ? J’hésitais, lorgnant sur le mur décrépi, en face, où certaines inscriptions évoquaient de manière explicite d’inquiétants rituels nocturnes. Un bruit approchait, je n’étais donc pas seul. Une sorte de cylindre métallique bien cabossé, mélange de D2R2 et d’aspirateur de chantier en promo chez Lidl, roula jusqu’à moi, cahotant sur les débris qui jonchaient le sol.
Quelques mois auparavant, j'avais acheté chez un brocanteur un carton rempli de carnets de notes poussiéreux. Sur la couverture de l'un, une toile d'araignée dessinée à la main et à l'intérieur, une carte menant à cet îlot. Mon imagination s'est mise à fonctionner à plein régime, mon rêve de devenir un aventurier allait se concrétiser. Et je me trouvais là, dans ce décor aberrant. Le gusse en tôle, agrippa mon pantalon pour m'entraîner et m'abandonner dans une seconde salle après avoir fait le tour du menhir noir. Je fus pris d'un fou rire hystérique à la vue d'une pièce éclatante de blancheur, aux murs de marbre veiné de bleu, une immense arantèle ; étais-je la proie ou l'épeire ? Je m'assis à même le carrelage blanc et glacial, du même motif que les murs. Le rire résonnait, répercuté d'une cloison à l'autre, en s'amplifiant exponentiellement jusqu'à la huitième paroi. Il n'était bientôt plus qu'une longue stridulation aigüe et insoutenable... Je portai les mains aux oreilles, mais le cerveau se liquéfiait ! L'arachnide géant fonça sur moi, au moment où le robot, de retour à sa base, déclencha un mécanisme qui me fit tournoyer sur place. Ma tête heurta le sol, devenu soudain, visqueux et brunâtre ...
Je glissai dans ce piège redoutable en forme d’entonnoir, impossible de se raccrocher à la moindre aspérité, j'étais inexorablement attiré vers le fond. Malgré mes efforts, j’étais entraîné tout en bas. À l’intérieur de la nasse, un inquiétant personnage attendait patiemment, un rictus énigmatique aux lèvres. La lumière surréaliste qui émanait des murs éclairait ce qui semblait être une jeune femme plutôt agréable à regarder. Son visage était outrageusement maquillé de blanc, elle affichait une tenue dans le plus pur style cosplay. Sa façon d’attaquer le sol du pied ainsi que les mouvements saccadés de ses membres supérieurs et de sa tête me firent immédiatement penser que je n’avais pas affaire à une humaine. La créature avait tout du droïde. Encore englué dans cet agrégat immonde, je l’entendis déclarer sans se départir de son sourire narquois : "Je suis Li Lu, maîtresse et créatrice de cet univers."
Misère, dans quel guêpier m'étais-je fourré... "secoue-toi, mon gars !" chuchota une araignée au sortir de mon col de chemise, "si tu as étudié la carte de l'île, tu trouveras l'issue entre mes fils de soie. Mais auparavant tu dois rendre à Li Lu ce que les hommes lui ont volé avant de l'interner ici et de l'oublier". Enfin libéré des ondes maléfiques et fort du soutien insolite de la petite bestiole, je retrouvai ma tête et mon instinct de survie !
- Bonjour Li Lu, je ne suis qu'un simple randonneur. Le GPS m'a conduit jusqu'à cet ancien sanatorium de l'époque franquiste. Je ne comprends rien ! C'est quoi ce coffrage d'acier ?
- Ce n'est pas de l'acier ! Il est invisible de nuit comme de jour, mais tu es arrivé au moment où je réinitialisais le système de sécurité, suite à une légère anomalie.
- Et la salle blanche ?
- Le robot aussi a buggé ! D'habitude, elle n'est pas accessible. A la vue des graffitis et des saletés, les promeneurs s'en vont ou bien ils poussent la porte de chêne.
- Mais que fais-tu ici ?
En guise de réponse, elle actionna dans l'espace, un écran virtuel, et je vis défiler les évènements de sa vie : sa mère, espagnole, a connu son père, dans un labo en Chine. Tous deux s'exilèrent pendant la guerre civile de 1937-1949, concluant la victoire des communistes contre les nationalistes et l'avènement de Mao Tse Tung. Arrêtés en Espagne, en tant qu'ennemis du fascisme, ils ne durent leur salut que grâce à un accord : participer aux recherches contre la lèpre, sur une île, au large de l’Afrique, dans les sous-sols d'un hôpital militaire. Deux équipes se formèrent, l'une chargée de trouver un médicament, l'autre, moins officielle, focalisée sur la génétique et la robotique. L'ancien sanatorium fut fermé en 1945, après la découverte de l'antibiotique. Il fut ensuite, occupé par l'armée, sous la couverture d'un Centre de Formation. En réalité, les parents de Li Lu y créèrent, dans le plus grand secret, et à l'insu des autorités, un prototype insensible aux virus et doté d'une intelligence renforcée artificiellement. Inquiets pour l'avenir de leur fille, ils la rendirent immortelle ! Après leur décès, "l'Escuela de Magisteria", officiellement fermée en 2002, les vieux locaux désaffectés devinrent la résidence cachée de Li Lu. Quelques années plus tard, l'abandon d'un vaste projet immobilier, grâce à un "Moratorio Turistica" contre le surdéveloppement touristique, lui avait permis de durer incognito...mais jusqu'à quand ? Je compris, alors, pourquoi cette semi-humaine avait élaboré toute cette stratégie de camouflage et de dissuasion ! mais quel avenir ? Quelle place pouvait-elle espérer dans la société ?
- Li Lu, que puis-je faire pour toi ?
La quantité d’informations, le tout si surnaturellement réel, m’oppressait, sans que je veuille le montrer. Où est mon joker ? dans tous les jeux télévisés on peut demander de l’aide à un ami… je souriais presque de ma bêtise mais j’aurais payé cher pour que mon pote JP soit là.
- M’aider ? Mais pour qui te prends-tu ? Tu débarques soudainement, à l’improviste, dans un monde où je suis omnipotente, je ne te demande rien et toi, tu as la prétention de m’aider !
Ses yeux lançaient des éclairs, son sourire narquois quelques instants plus tôt devenait inquiétant, sa voix évoluait maintenant vers des tonalités de plus en plus rauques.
- Tu t’es introduit chez moi comme un voleur, sans doute pour attenter à ma vie. Vous êtes bien tous les mêmes, les humains ! J’ai un temps tenté de vivre parmi vous et n’ai récolté qu’allusions désobligeantes et moqueries ; on riait de mes maladresses, on parlait dans mon dos… Ici dans mon monde, assisté de mon fidèle Bebop, je suis puissante, je maîtrise et contrôle tout. Je n’attends rien de toi.
Là, ça devenait carrément dangereux, la dame était en surchauffe, une furie au bord de l'implosion émotionnelle. Son toutou se mit à faire de grands gestes pour signaler l'arrivée de mygales par une faille au plafond.
Alors, là, elles commençaient à me courir sur le haricot ! D'abord le décor de la salle, puis la grosse machine, mais ce qui dégoulinait vers nous, était loin d'être factice ! A croire que la gent à huit pattes, s'était donné rendez-vous dans ce simili bunker ! Et la petite, sous le col de la chemise ? Pas de réponse ! Au secours, Indy ! Indiana, c'est le nom de mon aventurier fétiche : quand tout devient merdique, il trouve toujours une solution ! Mais tu n'es pas dans un film, mon coco ! Ça grouillait de partout, des noires, des bleues, des rouges, des multicolores à petits pois, des velues, des frêles aux pattes longiformes...Elles allaient atteindre le plancher... Je me tournai dans tous les sens. Li Lu, impassible, s'était entourée d'une bulle transparente. Elle avait tout prévu ! Sauf l'étanchéité de son nid ! La grimace avait disparu. Le regard n'était plus menaçant. Je crus même y discerner une lueur d'empathie et souhaitai que ses parents lui en aient fourni une bonne dose pour débloquer MA SITUATION ! J'essayai de forcer la bulle. La garce ne broncha pas. La molle paroi, non plus ! Les envahisseuses allaient bientôt constituer un parterre mouvant et me recouvrir... Et pour corser le tout, je compris vite la cause de ce déferlement : de l'eau goûtait par les interstices ! Que se passait-il là-haut ? Un tsunami ? Gros bêta ! Tu as oublié de fermer la porte ! J'imaginai l'énorme vague submerger l'édifice, et les trombes d'eau se déverser par les fissures devenues béantes... Pas de dôme sommital ? Li Lu n'était donc pas si parfaite ?! Elle avait parlé d'anomalie... Je l'avais interrompue dans ses manœuvres ... Et le I-clébard ? Il pouvait pas se bouger ? Au moment, où il allait franchir l'écran protecteur, je lui sautai dessus et m'engouffrai avec lui. Le sas où la droïde s’était retranchée donnait des signes de faiblesses, il lui fallait fuir vers le saint du saint, la zone indestructible, centre névralgique de son “empire”.
Elle se sauvait, parcourant les couloirs de son pas mécanique, suivie de i-machin qui me trainait ligoté à sa suite. Enfin à l’abri, Li Lu éclata d’un rire sardonique.
- Je vais te charcuter, te transformer, tu vas devenir comme moi et perdre ton humanité. Ainsi je pourrai te garder à mes côtés…
I-Toutou entra alors dans une colère indescriptible, il sifflait, cliquetait, fulminait, ses circuits étaient à la limite de la surchauffe. Sur son écran s’affichait en lettres de feu : "Li Lu ! Ma présence ne te suffit pas ! Tu as besoin de ce… , de ce… à tes côtés ?"
Le wall-e d’opérette faisait, ou alors je n’y connaissais rien, une crise de jalousie. Insensible à ce déferlement d’aigreur, la semi humaine ordonna :
- Neutralise-le et attache-le sur la table, je vais le lobotomiser, et il ne sera plus jamais comme avant.
A cet instant je vis rouge, STOP ! Vouloir tenter de sauver la dame et son clebs ça va bien cinq minutes et si c’est pour me faire raboter la cervelle, qu’ils aillent en chercher une autre ! Je me mis à hurler comme un fou :
- Me lobotomiser ? C’est moi qui vais vous atomiser, toi et ton chihuahua !
J'essayai fébrilement de dégainer le minuscule pistolet à grenailles, fidèle compagnon de toutes mes escapades nocturnes. Mais les liens m'en empêchaient. Je me contorsionnai pour atteindre la poche arrière du pantalon, sous le regard goguenard de Li Lu. Pas de réaction, chez "la voix de son maître", immobile et silencieux à ses pieds. Je me sentais ridiculement impuissant et visualisai, sans me résigner, la scène finale du film, où nous formerions un "trouple", dans ce monde souterrain... Soudain, la voûte éclata dans un horrible craquement, en laissant s'échapper une montagne de liquide. Je me vis submergé et tournoyant parmi les débris, évitant, je ne sais comment les plus acérés. La poussée de l'eau me propulsait vers la gueule béante, lorsque, en atteignant le palier supérieur, mon crâne heurta un fragment de colonne... Et je sombrai dans cinquante nuances de noir...
Cramponnée à son pupitre, Li Lu laissa perler ce qui ressemblait à une larme, l'eau montait inexorablement, submergeant la moindre parcelle de son antre, elle délirait :
- Quel gâchis ! Regarde comme il était beau, ç’aurait été mon prince ; s’il avait voulu, il aurait régné à mes côtés pour l’éternité.
C’en était trop pour I-corniaud qui se précipita sur le clavier de commande ; celui sur lequel trônait le bouton où était écrit : "destruction".
Sans l’ombre d’une hésitation, il enfonça le poussoir entraînant un dégagement extrêmement brutal d'énergie, une boule de feu embrasa l'île entière, prélude à l’Apocalypse.
L'océan, en se retirant, m'emportait vers le large. Flottant entre deux eaux, j'heurtai un semblant de radeau... composé d'araignées. I-dog me recueillit, il tenait l'étoile polaire en laisse. Moi, pauvre aventurier de série B, j'étais prêt pour le scénario suivant.
Lix- Messages : 505
Date d'inscription : 05/08/2024
Re: Et le plafond se brisa / Nuit torride (Fid-ho/Jean Paul/Lix)
Histoire rapatriée d'un autre support
Lix- Messages : 505
Date d'inscription : 05/08/2024
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum