Les confidences (Un conte de Néandertal, 6)

Je me demande encore si j’ai bien fait de laisser Brëan accompagner Nêran. Il nous a fait un tel caprice…ça me faisait mal au cœur de lui refuser ça. Et puis cette fois Nêran sait où il va, et pour combien de temps il en a. Et… Dezul n’a rien dit. Je suppose que s’il avait craint le moindre danger, il serait intervenu. Mais je ne sais pas. Il nous a bien laissés partir seuls vers l’inconnu. Non. Pas seuls. Il était là. Cet homme est plein de mystère. Et si simple en même temps. Si simple.

— Dezul ?
— Oui ?
— Quand es-tu arrivé parmi nous ? Tu n’as pas toujours été là, si ?
— Non, je n’ai pas toujours été là. Tu étais petite. Peut-être cinq ou six ans. Ton père était encore en vie. Un excellent chasseur. Un des meilleurs archers que j’aie vus. Et un homme bon. Mais je l’ai peu connu.
— Maman m’a toujours dit que c’était un mammouth qui l’avait envoyé dans le monde des réponses.
— Oui. Il s’est retrouvé pris entre un tigre à dents de sabre et deux mammouths, sans arme. Je pense qu’il a choisi un mammouth pour souffrir moins. Le tigre est joueur, on le sait.
— Et toi ? As-tu connu ton père ?
— Oui. Il avait perdu ma mère à ma naissance. Il semblait surmonter sa peine tant bien que mal. Ma sœur a été ma mère. Et quand je suis devenu homme, il a fabriqué quelque chose qu’on n’avait jamais vu et que je n’ai jamais revu : un assemblage de troncs d’arbre pour marcher sur l’eau. Il nous a demandé pardon et il est parti vers les noces lointaines.
— Dezul…
— Il m’a enseigné le doute et je lui en suis reconnaissant. Je doute toujours et je crois que c’est la seule manière de se préparer au monde des réponses. Et je crois aussi que ça facilite la paix. Mais ce n’est pas toujours facile de se forcer à n’être sûr de rien.
— Crois-tu que Sassi peut se permettre le doute ?
— Bien sûr. Il connaît ses plantes comme personne, par expérience, mais chaque fois qu’il est devant un mal à soigner, ne crois pas qu’il ne se pose pas mille questions. Seule l’expérience doublée d’une très forte intuition, sans laquelle il n’aurait pas choisi cette voie, lui permet de répondre à ses questions. Et puis…tout efficace qu’il soit, il n’est pas infaillible.
— J’ai du mal à t’imaginer en train de douter, Dezul.
— Vous m’avez attribué un rôle que je n’ai pas choisi mais que j’ai accepté. Si mes doutes se voyaient, ça ne marcherait pas. Ça fait partie de ma vie. Et il m’arrive de montrer la vraie couleur. De dire rhinocéros puis cheval.
— C’est très rare.
— De moins en moins, Mek. De moins en moins.