Un lys pour la vie
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Un lys pour la vie
Quand j’ai appris le décès de Maeva, ce matin-là, j’ai eu le plus grand mal à chasser les souvenirs de notre rencontre. Un vertige m’a brinquebalé le temps que je remette ces feuilles mortes dans le bon ordre. Puisqu’ils refusaient de déserter mon crâne, autant qu’ils soient bien rangés. La mémoire est un herbier. Et nous sommes tous des collectionneurs.
La jeune femme se baladait sur la plage de sable, un lys blanc dans les cheveux. Ses longs cheveux roux faisaient du toboggan dans son dos. Sa peau laiteuse détonnait avec le soleil. Les vagues mourantes, pseudopodes de la mer, clapotaient à ses pieds. Elle semblait la plus heureuse des femmes. Elle souriait aux anges déguisés en mouettes.
A sa vue, je me suis dit : « En voilà une qui va bientôt se marier, et cette fleur, dans ses cheveux, est destinée à faire renoncer les autres hommes. Elle n’est plus libre, il vaut mieux changer de roche ou la croiser sans se retourner pour lui reluquer le cul. Sinon elle te crèvera les yeux d’un méchant coup de griffe. »
Ses talons hauts picoraient tels des becs le sable blond. Elle avait surgi de nulle part et j’ignorais comment l’empêcher d’y retourner.
Un petit crabe la suivait, pinces menaçantes. Je le jugeai stupide et l’envie de le piétiner me prit. Mais comme mon regard l’imitait, je lui pardonnai.
J’étais seul sur la plage, le dos appuyé contre un énorme rocher dont l’ombre dessinait, sur le sol, une baleine échouée.
J’avais prévu de glisser son lys blanc dans le cercueil le jour de l’enterrement.
Car je savais que la mort viendrait la récupérer.
Sur cette plage, elle m’avait avoué qu’elle n’avait que quelques semaines à vivre. Elle avait été surprise que je la croie et ses yeux verts s’étaient agrandis. J’avais imaginé qu’elle se faisait passer pour une dingue, histoire d’avoir la paix. Mais alors, pourquoi était-elle venue me tenir compagnie dans l’ombre du rocher ?
Je me trompais. Elle cherchait juste à être originale. Entre deux délires, elle tenait des propos attestant qu’elle avait la tête sur les épaules.
A aucun moment, j’ai pensé qu’elle avait programmé son suicide.
Elle m’avait clairement fait comprendre que si je voulais la fréquenter, ce serait comme sortir avec un zombie bien conservé.
Elle avait beaucoup ri en voyant ma gueule.
Elle était tellement belle que j’étais prêt à lui pardonner son humour macabre.
« Ce lys blanc, il faudra le glisser dans mon cercueil. Puis tu iras le récupérer par une nuit de pleine lune. Il faudra ensuite le planter au sommet d’une montagne. N’importe laquelle, pourvu qu’elle culmine à plus de mille mètres. Et tu le retrouveras, un jour, dans les cheveux d’une autre femme. Ne crois pas aux coïncidences. Elles sont faites pour piéger les hommes et rassurer leurs compagnes. »
J’étais sous le charme. C’était la première fois que je me faisais draguer par un zombie bien conservé.
*
Parvenu au sommet du Mont Lozère, j’ai revécu mon passé récent, à partir du cimetière, le jour de l’enterrement de Maeva, jusqu’à aujourd’hui, face aux vallées des Cévennes que je dominais modestement, le lys blanc à la main.
Déboussolé, j’ai voulu être fidèle une dernière fois. Je n’y croyais qu’à moitié, mais bon, j’avais au moins l’impression de faire mon deuil comme elle l’entendait.
Je revis Maeva arpentant la plage de sable blond, puis la fleur des rois posée sur son cœur. J’avais encore, dans les oreilles, le bruit du couvercle nous isolant du corps inerte de cette si mystérieuse femme.
Dans un film d’épouvante, le cadavre aurait pianoté sur le bois, en langage morse, une phrase signifiant qu’elle était encore en vie.
Mourir si jeune…
Sans raison, son cœur avait brusquement cessé de battre. Elle le savait depuis le début de notre rencontre. La sensation d’avoir été là pour lui faciliter le passage dans l’autre monde.
J’avais épié la lune par la fenêtre de ma chambre. Chaque soir, je me couchais la tête tournée vers les étoiles. J’attendais, pour m’endormir, qu’elle passe dans l’encadrement. J’attendais qu’elle soit ronde et rousse.
J’étais téléguidé par le plus biscornu des programmes, sans même me demander ce qui se passerait si je faisais une entorse au règlement.
Une entorse au règlement.
Etais-je en train de perdre la tête autrement que par amour ?
Je levai les yeux au ciel. Un milan royal me survolait. Etait-ce un signe ?
Planter le lys blanc. A quoi bon ? Sans la moindre racine, la fleur des rois fanerait bien vite.
Semblant tomber du ciel, une petite voix me harangua.
« Obéis ! Ne réfléchis pas ! Qui te dit que le monde d’où vient ce lys fonctionne comme le tien ? Il n’a peut-être pas besoin de terre, de soleil et d’eau pour s’épanouir. Juste d’une mise en scène dont tu ignores tout. »
« Tu es bien autoritaire, petite voix ! »
« C’est pour ton bien. »
Un silence de plomb succéda au mirage sonore.
La beauté du paysage me troubla. J’eus un hoquet, puis un autre. Je respirai à pleins poumons afin de me remettre sur les bons rails. Deux heures de route m’avaient un peu fatigué. Je détestais conduire. Un caprice m’avait guidé ici parce que je connaissais le coin. Il était propice à cette fantasmagorie. Il y avait eu, lors de nuits d’orage, des lueurs évoquant des sabbats de flammes. Un berger avait été témoin de cette diabolique orgie. Il avait ensuite trouvé ses bêtes égorgées. Il s’en voudrait toute sa vie d’avoir sorti son troupeau à la belle étoile. Il se murmurait, là-bas, que le lait était meilleur quand l’animal broutait l’herbe au cœur de la nuit.
Il y avait un rocher affleurant à enjamber à l’entrée du sentier. Celui que j’empruntai pour me rendre dans ce champ où jonquilles et coquelicots rivalisaient de couleurs au mois de juin. Son étendue flattait le peintre du dimanche, ou le photographe. Je connaissais son existence pour être déjà venu dans le coin quand mon ancien boulot me permettait des week-ends prolongés. Un lys blanc y passerait inaperçu, algue discrète flottant à la surface de l’eau d’un lagon.
Je m’étais dit que le rocher affleurant eût fait l’affaire s’il avait eu un frère de pierre, parenthèses où caler le lys blanc en comblant l’espace avec de la terre.
J’avais encore une trentaine de mètres à parcourir. L’air sentait bon l’été cévenol. J’avais garé ma voiture beaucoup plus loin, en contrebas. J’avais envie de me dégourdir les jambes. On respire mieux en marchant, et on gamberge moins. Le lys blanc semblait d’une fraîcheur surnaturelle, comme si je venais à peine de le soustraire à un jardin.
Cette pleine lune eût fait hurler un chat comme un loup. Je m’étais endormi puis réveillé en sursaut. Ne pas rater le rendez-vous. Je savais que l’heure de violer un territoire sacré était venue. Le mur n’était pas très haut. De toute façon, l’escalade m’était familière. Je la pratiquais, à mes heures perdues, dans les calanques.
Le plus compliqué serait d’ouvrir le cercueil après m’être introduit dans le caveau. Maeva était issue d’une riche famille dont la plupart des aïeux avaient participé à la résistance contre l’envahisseur teuton.
Je m’étais dit qu’il faudrait être malin, improviser. Je m’inquiétais pour rien, et j’avoue ne pas avoir cherché à comprendre. Le caveau était ouvert, le cercueil également. Je n’ai eu qu’à plonger la main dans ce dernier, les yeux fermés, et en ramener le lys blanc. Il était dans l’état d’une fleur que l’on vient à peine d’arracher au cœur d’une prairie.
C’est seulement parvenu au sommet du Mont Lozère que j’ai essayé d’imaginer Maeva revenant à la vie et mettant en scène le plus macabre des scénarios. Stephen King n’y eût jamais songé.
Fallait-il qu’elle soit tordue.
Etait-elle devenue un zombie ? Il m’aurait fallu vérifier en tâtonnant. J’avais juste craint d’effleurer sa poitrine éteinte.
Qui avait remplacé le lys blanc dans le cercueil ?
Cette fleur n’était point éternelle, si ?
Le lendemain, à bord de ma voiture, son entêtant parfum me mit mal à l’aise. Au bord de la nausée, je chantonnai un air du pays cévenol.
*
Le lys blanc paradait maintenant au milieu des jonquilles et des coquelicots.
A l’aller comme au retour, je me suis efforcé de ne rien écraser, ni personne, persuadé que des elfes et des fées bossaient au ras des pâquerettes, invisibles amis des bousiers, des bourdons, tant ils étaient minuscules et fidèles.
Maintenant, il ne me restait plus qu’à attendre.
Attendre quoi ? Que l’œillade de la plus brillante des étoiles m’avertisse que j’avais réussi dans mon ineffable entreprise ?
Je n’allais tout de même pas me poster à la fenêtre, chaque nuit, lorgnant le toit du monde, espérant la céleste étincelle m’avisant que Maeva était revenue à la vie dans la peau d’une autre femme, si ?
J’eus un haut-le-corps.
Et si elle avait organisé son come-back, cette fois, dans celle d’un homme ?
La mauvaise blague.
Je m’ébrouai, histoire de ramener plus de raison au sein de mes pensées. J’avais quatre heures de route. Assez de temps pour me vidanger la tête. Il me suffirait de me revoir escaladant les calanques quand, arrivé en haut, je ne pouvais m’empêcher de me pencher au-dessus du vide pour constater tout ce chemin parcouru en tutoyant la mort.
Deux nuits après mon périple sur les hauteurs de la Lozère, j’ai rêvé que je lisais le journal tranquillement assis sur un banc de jardin public. J’avais cru à un cauchemar au cours duquel je faisais la guerre à une armée de chiens errants qui fouissaient, la truffe au ras du sol, la terre au pied de l’entrée du caveau destiné aux défunts de la famille de Maeva. Des crocs pénétraient ma chair, les aboiements me perçaient les tympans, tandis que je défendais le précieux mausolée. C’est Maeva qui émergeait du caveau, puis jetait la fleur des rois au milieu de la meute. L’explosion éparpillait les pattes des fossoyeurs quadrupèdes.
Et la jeune femme de me lancer, tout excitée par le combat : « Ah, t’es là, toi ? Et tu les as laissés faire ? »
Mais non !
Mon rêve se cantonnait à ma lecture de Midi Libre, le quotidien des Cévennes, à la rubrique des faits divers.
Une fillette, qui cueillait des fleurs pour sa mère, avait été attaquée par un animal rampant déguisé en lys blanc. Elle avait commenté son récit en ces termes :
« Quand j’ai vu cette belle fleur blanche, je l’ai voulue pour mon bouquet. Je l’ai prise dans mes mains, elle m’a mordue, et ça a fait très mal. »
Il s’était avéré que la gamine avait été piquée par une vipère. Elle avait frôlé la mort à cause d’un problème au démarrage de la voiture de sa mère.
Je m’étais réveillé d’un bond parce que j’avais ressenti une douleur au poignet côté cœur. Il y avait là deux petits trous rouges. J’ai poussé un cri en apercevant un serpent qui passait par la fenêtre pour fuir les lieux.
J’ai aussitôt appelé les pompiers. Vingt minutes plus tard, une infirmière rousse coiffée d’un chignon tentait de me réconforter dans une chambre d’une blancheur aveuglante.
Elle me tapotait la main épargnée.
« Il y a eu une complication. Le venin a atteint le cœur plus vite que prévu. Les pompiers ont pris du retard en vous amenant. Il y avait un barrage de poubelles dans votre rue. Le capitaine a dit qu’il n’y était pas quand ils sont arrivés. Cette ville est pleine de mystères. La police est intervenue. Les cantonniers ont été sortis du lit. Vous allez vivre. Très longtemps, j’espère. »
Le flou qui embrumait ma vue s’éclaircit soudain et je vis que l’infirmière, c’était Maeva.
Elle me fit une piqûre et je partis, film visionné au ralenti, dans les alléluias.
« Vous avez besoin de dormir, de beaucoup dormir. »
J’avais surtout besoin de me réveiller.
*
Je marche à la lisière des vagues mourantes et j’aperçois cette jeune femme assise à l’ombre d’un rocher en forme de baleine. Elle tient un bouquin et le maltraite, tant elle semble perturbée par sa lecture. Les pages se cornent à vue d’œil sous ses doigts nerveux.
Je la rejoins en faisant clapoter les pseudopodes de la mer. C’est un roman de Stephan King. Je ne vois que le nom de l’auteur – le titre est secondaire.
Un lys blanc vient mourir sur le sable blond après avoir surfé sur une vague.
« Vous avez vu ? La mer est vraiment surprenante. Quand ce ne sont pas des couronnes mortuaires… »
Son regard vert s’est levé vers moi, elle m’a souri, et j’ai tout de suite su qu’elle était la femme de ma vie.
Mais ce n’était qu’un rêve. Qui s’imbriquait dans un autre telle une poupée russe. Je m’étais endormi à l’ombre d’un rocher informe et le soleil l’avait, petit à petit, grignotée. Juste de quoi me faire délirer en me tapant trop fort sur le front.
Un crabe me regardait en claquant des pinces. Une vague vint le happer. A la place, apparut un lys blanc. Je fermai puis rouvris les yeux. La fleur des rois avait disparu. J’aurais pu sauver le crabe de la noyade.
Mais je me sentais las, si las.
La jeune femme se baladait sur la plage de sable, un lys blanc dans les cheveux. Ses longs cheveux roux faisaient du toboggan dans son dos. Sa peau laiteuse détonnait avec le soleil. Les vagues mourantes, pseudopodes de la mer, clapotaient à ses pieds. Elle semblait la plus heureuse des femmes. Elle souriait aux anges déguisés en mouettes.
A sa vue, je me suis dit : « En voilà une qui va bientôt se marier, et cette fleur, dans ses cheveux, est destinée à faire renoncer les autres hommes. Elle n’est plus libre, il vaut mieux changer de roche ou la croiser sans se retourner pour lui reluquer le cul. Sinon elle te crèvera les yeux d’un méchant coup de griffe. »
Ses talons hauts picoraient tels des becs le sable blond. Elle avait surgi de nulle part et j’ignorais comment l’empêcher d’y retourner.
Un petit crabe la suivait, pinces menaçantes. Je le jugeai stupide et l’envie de le piétiner me prit. Mais comme mon regard l’imitait, je lui pardonnai.
J’étais seul sur la plage, le dos appuyé contre un énorme rocher dont l’ombre dessinait, sur le sol, une baleine échouée.
J’avais prévu de glisser son lys blanc dans le cercueil le jour de l’enterrement.
Car je savais que la mort viendrait la récupérer.
Sur cette plage, elle m’avait avoué qu’elle n’avait que quelques semaines à vivre. Elle avait été surprise que je la croie et ses yeux verts s’étaient agrandis. J’avais imaginé qu’elle se faisait passer pour une dingue, histoire d’avoir la paix. Mais alors, pourquoi était-elle venue me tenir compagnie dans l’ombre du rocher ?
Je me trompais. Elle cherchait juste à être originale. Entre deux délires, elle tenait des propos attestant qu’elle avait la tête sur les épaules.
A aucun moment, j’ai pensé qu’elle avait programmé son suicide.
Elle m’avait clairement fait comprendre que si je voulais la fréquenter, ce serait comme sortir avec un zombie bien conservé.
Elle avait beaucoup ri en voyant ma gueule.
Elle était tellement belle que j’étais prêt à lui pardonner son humour macabre.
« Ce lys blanc, il faudra le glisser dans mon cercueil. Puis tu iras le récupérer par une nuit de pleine lune. Il faudra ensuite le planter au sommet d’une montagne. N’importe laquelle, pourvu qu’elle culmine à plus de mille mètres. Et tu le retrouveras, un jour, dans les cheveux d’une autre femme. Ne crois pas aux coïncidences. Elles sont faites pour piéger les hommes et rassurer leurs compagnes. »
J’étais sous le charme. C’était la première fois que je me faisais draguer par un zombie bien conservé.
*
Parvenu au sommet du Mont Lozère, j’ai revécu mon passé récent, à partir du cimetière, le jour de l’enterrement de Maeva, jusqu’à aujourd’hui, face aux vallées des Cévennes que je dominais modestement, le lys blanc à la main.
Déboussolé, j’ai voulu être fidèle une dernière fois. Je n’y croyais qu’à moitié, mais bon, j’avais au moins l’impression de faire mon deuil comme elle l’entendait.
Je revis Maeva arpentant la plage de sable blond, puis la fleur des rois posée sur son cœur. J’avais encore, dans les oreilles, le bruit du couvercle nous isolant du corps inerte de cette si mystérieuse femme.
Dans un film d’épouvante, le cadavre aurait pianoté sur le bois, en langage morse, une phrase signifiant qu’elle était encore en vie.
Mourir si jeune…
Sans raison, son cœur avait brusquement cessé de battre. Elle le savait depuis le début de notre rencontre. La sensation d’avoir été là pour lui faciliter le passage dans l’autre monde.
J’avais épié la lune par la fenêtre de ma chambre. Chaque soir, je me couchais la tête tournée vers les étoiles. J’attendais, pour m’endormir, qu’elle passe dans l’encadrement. J’attendais qu’elle soit ronde et rousse.
J’étais téléguidé par le plus biscornu des programmes, sans même me demander ce qui se passerait si je faisais une entorse au règlement.
Une entorse au règlement.
Etais-je en train de perdre la tête autrement que par amour ?
Je levai les yeux au ciel. Un milan royal me survolait. Etait-ce un signe ?
Planter le lys blanc. A quoi bon ? Sans la moindre racine, la fleur des rois fanerait bien vite.
Semblant tomber du ciel, une petite voix me harangua.
« Obéis ! Ne réfléchis pas ! Qui te dit que le monde d’où vient ce lys fonctionne comme le tien ? Il n’a peut-être pas besoin de terre, de soleil et d’eau pour s’épanouir. Juste d’une mise en scène dont tu ignores tout. »
« Tu es bien autoritaire, petite voix ! »
« C’est pour ton bien. »
Un silence de plomb succéda au mirage sonore.
La beauté du paysage me troubla. J’eus un hoquet, puis un autre. Je respirai à pleins poumons afin de me remettre sur les bons rails. Deux heures de route m’avaient un peu fatigué. Je détestais conduire. Un caprice m’avait guidé ici parce que je connaissais le coin. Il était propice à cette fantasmagorie. Il y avait eu, lors de nuits d’orage, des lueurs évoquant des sabbats de flammes. Un berger avait été témoin de cette diabolique orgie. Il avait ensuite trouvé ses bêtes égorgées. Il s’en voudrait toute sa vie d’avoir sorti son troupeau à la belle étoile. Il se murmurait, là-bas, que le lait était meilleur quand l’animal broutait l’herbe au cœur de la nuit.
Il y avait un rocher affleurant à enjamber à l’entrée du sentier. Celui que j’empruntai pour me rendre dans ce champ où jonquilles et coquelicots rivalisaient de couleurs au mois de juin. Son étendue flattait le peintre du dimanche, ou le photographe. Je connaissais son existence pour être déjà venu dans le coin quand mon ancien boulot me permettait des week-ends prolongés. Un lys blanc y passerait inaperçu, algue discrète flottant à la surface de l’eau d’un lagon.
Je m’étais dit que le rocher affleurant eût fait l’affaire s’il avait eu un frère de pierre, parenthèses où caler le lys blanc en comblant l’espace avec de la terre.
J’avais encore une trentaine de mètres à parcourir. L’air sentait bon l’été cévenol. J’avais garé ma voiture beaucoup plus loin, en contrebas. J’avais envie de me dégourdir les jambes. On respire mieux en marchant, et on gamberge moins. Le lys blanc semblait d’une fraîcheur surnaturelle, comme si je venais à peine de le soustraire à un jardin.
Cette pleine lune eût fait hurler un chat comme un loup. Je m’étais endormi puis réveillé en sursaut. Ne pas rater le rendez-vous. Je savais que l’heure de violer un territoire sacré était venue. Le mur n’était pas très haut. De toute façon, l’escalade m’était familière. Je la pratiquais, à mes heures perdues, dans les calanques.
Le plus compliqué serait d’ouvrir le cercueil après m’être introduit dans le caveau. Maeva était issue d’une riche famille dont la plupart des aïeux avaient participé à la résistance contre l’envahisseur teuton.
Je m’étais dit qu’il faudrait être malin, improviser. Je m’inquiétais pour rien, et j’avoue ne pas avoir cherché à comprendre. Le caveau était ouvert, le cercueil également. Je n’ai eu qu’à plonger la main dans ce dernier, les yeux fermés, et en ramener le lys blanc. Il était dans l’état d’une fleur que l’on vient à peine d’arracher au cœur d’une prairie.
C’est seulement parvenu au sommet du Mont Lozère que j’ai essayé d’imaginer Maeva revenant à la vie et mettant en scène le plus macabre des scénarios. Stephen King n’y eût jamais songé.
Fallait-il qu’elle soit tordue.
Etait-elle devenue un zombie ? Il m’aurait fallu vérifier en tâtonnant. J’avais juste craint d’effleurer sa poitrine éteinte.
Qui avait remplacé le lys blanc dans le cercueil ?
Cette fleur n’était point éternelle, si ?
Le lendemain, à bord de ma voiture, son entêtant parfum me mit mal à l’aise. Au bord de la nausée, je chantonnai un air du pays cévenol.
*
Le lys blanc paradait maintenant au milieu des jonquilles et des coquelicots.
A l’aller comme au retour, je me suis efforcé de ne rien écraser, ni personne, persuadé que des elfes et des fées bossaient au ras des pâquerettes, invisibles amis des bousiers, des bourdons, tant ils étaient minuscules et fidèles.
Maintenant, il ne me restait plus qu’à attendre.
Attendre quoi ? Que l’œillade de la plus brillante des étoiles m’avertisse que j’avais réussi dans mon ineffable entreprise ?
Je n’allais tout de même pas me poster à la fenêtre, chaque nuit, lorgnant le toit du monde, espérant la céleste étincelle m’avisant que Maeva était revenue à la vie dans la peau d’une autre femme, si ?
J’eus un haut-le-corps.
Et si elle avait organisé son come-back, cette fois, dans celle d’un homme ?
La mauvaise blague.
Je m’ébrouai, histoire de ramener plus de raison au sein de mes pensées. J’avais quatre heures de route. Assez de temps pour me vidanger la tête. Il me suffirait de me revoir escaladant les calanques quand, arrivé en haut, je ne pouvais m’empêcher de me pencher au-dessus du vide pour constater tout ce chemin parcouru en tutoyant la mort.
Deux nuits après mon périple sur les hauteurs de la Lozère, j’ai rêvé que je lisais le journal tranquillement assis sur un banc de jardin public. J’avais cru à un cauchemar au cours duquel je faisais la guerre à une armée de chiens errants qui fouissaient, la truffe au ras du sol, la terre au pied de l’entrée du caveau destiné aux défunts de la famille de Maeva. Des crocs pénétraient ma chair, les aboiements me perçaient les tympans, tandis que je défendais le précieux mausolée. C’est Maeva qui émergeait du caveau, puis jetait la fleur des rois au milieu de la meute. L’explosion éparpillait les pattes des fossoyeurs quadrupèdes.
Et la jeune femme de me lancer, tout excitée par le combat : « Ah, t’es là, toi ? Et tu les as laissés faire ? »
Mais non !
Mon rêve se cantonnait à ma lecture de Midi Libre, le quotidien des Cévennes, à la rubrique des faits divers.
Une fillette, qui cueillait des fleurs pour sa mère, avait été attaquée par un animal rampant déguisé en lys blanc. Elle avait commenté son récit en ces termes :
« Quand j’ai vu cette belle fleur blanche, je l’ai voulue pour mon bouquet. Je l’ai prise dans mes mains, elle m’a mordue, et ça a fait très mal. »
Il s’était avéré que la gamine avait été piquée par une vipère. Elle avait frôlé la mort à cause d’un problème au démarrage de la voiture de sa mère.
Je m’étais réveillé d’un bond parce que j’avais ressenti une douleur au poignet côté cœur. Il y avait là deux petits trous rouges. J’ai poussé un cri en apercevant un serpent qui passait par la fenêtre pour fuir les lieux.
J’ai aussitôt appelé les pompiers. Vingt minutes plus tard, une infirmière rousse coiffée d’un chignon tentait de me réconforter dans une chambre d’une blancheur aveuglante.
Elle me tapotait la main épargnée.
« Il y a eu une complication. Le venin a atteint le cœur plus vite que prévu. Les pompiers ont pris du retard en vous amenant. Il y avait un barrage de poubelles dans votre rue. Le capitaine a dit qu’il n’y était pas quand ils sont arrivés. Cette ville est pleine de mystères. La police est intervenue. Les cantonniers ont été sortis du lit. Vous allez vivre. Très longtemps, j’espère. »
Le flou qui embrumait ma vue s’éclaircit soudain et je vis que l’infirmière, c’était Maeva.
Elle me fit une piqûre et je partis, film visionné au ralenti, dans les alléluias.
« Vous avez besoin de dormir, de beaucoup dormir. »
J’avais surtout besoin de me réveiller.
*
Je marche à la lisière des vagues mourantes et j’aperçois cette jeune femme assise à l’ombre d’un rocher en forme de baleine. Elle tient un bouquin et le maltraite, tant elle semble perturbée par sa lecture. Les pages se cornent à vue d’œil sous ses doigts nerveux.
Je la rejoins en faisant clapoter les pseudopodes de la mer. C’est un roman de Stephan King. Je ne vois que le nom de l’auteur – le titre est secondaire.
Un lys blanc vient mourir sur le sable blond après avoir surfé sur une vague.
« Vous avez vu ? La mer est vraiment surprenante. Quand ce ne sont pas des couronnes mortuaires… »
Son regard vert s’est levé vers moi, elle m’a souri, et j’ai tout de suite su qu’elle était la femme de ma vie.
Mais ce n’était qu’un rêve. Qui s’imbriquait dans un autre telle une poupée russe. Je m’étais endormi à l’ombre d’un rocher informe et le soleil l’avait, petit à petit, grignotée. Juste de quoi me faire délirer en me tapant trop fort sur le front.
Un crabe me regardait en claquant des pinces. Une vague vint le happer. A la place, apparut un lys blanc. Je fermai puis rouvris les yeux. La fleur des rois avait disparu. J’aurais pu sauver le crabe de la noyade.
Mais je me sentais las, si las.
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