La cabane de la clairière
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au café des destins croisés

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Message par pehache 16.09.24 19:37

Au café des destins croisés







Préface


Ce recueil est composé de textes placés sous le double signe du lien et de la polyphonie, proposés dans leur, approximative, chronologie.
Mais peut-être est-il bien plus amusant, plus conforme à l’esprit du puzzle, de lire ces petits textes dans le désordre et de recomposer, voire, de tisser soi-même les liens ?














Sans discontinuer, depuis le tout petit matin, il pleuvait. Une pluie grasse et froide. Une pluie moche.
Au bar, s’accrochaient quelques rescapés. Pauvres hères. Tapis dans la pénombre, deux vieux égrenaient leurs dernières secondes. Sans les voir, je fixais, dehors, des passants imbéciles, le parapluie pour auréole.
Tout en faisant mine de lire, d’écrire, le patron nous observait, du coin de l’œil.
Toi, tu parlais encore, sans doute, oui tu parlais. Je me souviens mêlés, de l’odeur du café et du son de ta voix que je n’écoutais plus. Ma cigarette s’était éteinte depuis longtemps. Tu fumais seule. Je m’étais mis de profil. Quand mes larmes ont commencé à couler, je me suis levé. J’ai traversé le café et je suis sorti, seul, sous la pluie, pour ne jamais revenir, et te noyer, te noyer dans le soleil, mon amour.












Plafonds


Nous nous étions installés tous les trois dans la même chambre d'un hôtel de la médina. Les draps étaient douteux, les sommiers pouilleux ; la peinture devait dater de l'an un de l'Hégire, elle s'en allait par plaques des murs et suscitait la convoitise des trafiquants de reliques ; il n'y avait pas de fenêtre et les vingt-cinq watts de l'ampoule nue qui pendait à plus de trois mètres ne nous permettaient guère que d'entr'apercevoir les colonies de cafards qui batifolaient dans ce cloaque. Il faut dire qu'ils ne payaient pas, eux.
Les murs exsudaient je ne veux savoir quels relents fétides d'urine, de vomi, de sperme rance. Je suppose que le premier jour nous avions dû nous boucher les narines et nous voiler la face avec le tchador du "cachet local".
Au bout d'une semaine ne subsistait que l'écœurement. Mes compagnons, pourtant, semblaient s'accommoder des lieux et même s'y complaire. J'avais essayé, au début, d'user de toute mon éloquence pour les en extraire. Une tenaille d'arracheur de temps aurait été plus efficace. Alors, j'avais renoncé. Aussi, les abandonnais-je bientôt et parcourus seul les rues et les venelles de la ville, poussant de plus en plus souvent vers la campagne alentour, partant tôt le matin pour ne rentrer fourbu qu'à la nuit tombée.
Je marchais sans penser, me diluant sous le soleil et, seuls, m'extirpaient parfois de mon hébétude le charbonneux regard d'une inconnue voilée ou les rires insolents d'enfants déguenillés.
Exténué, j'allais m'asseoir sous les oliviers, dans la poussière chaude et suivais des yeux la procession lente des passants, des muletiers. Il m'arrivait aussi, loin des places inondées de touristes, à la périphérie miséreuse de la ville, d'ôter mes chaussures et de me reposer sur les nattes crasseuses de quelque café où, usant de mon maigre vocabulaire, je réclamais "atey". On me l'apportait bouillant dans un verre souillé décoré de palmiers ou de minarets et je le sirotais à petites gorgées gourmandes. Accroché au mur, immanquablement, me fixait le portrait du roi, flanqué quelques fois de chromos représentant une fantasia sous un ciel trop bleu.
De temps à autre, des joueurs de cartes aux djellabas maculées et imprégnées d'odeurs de bouc, ou de vieux palabreurs aux yeux jaunes m'offraient leur sebsi encore saliveuse ; en retour, je commandais au patron une théière et l'un d'eux nous servait cérémonieusement, mettant un point d'honneur à lever le récipient plus haut qu'il n'était nécessaire.
Marc et Sophie saluaient mon retour d'un vague "hello! " et me tendaient le joint en cours. Je me frayais un chemin entre les lits, les godasses, les sous-vêtements, écrasant au passage sous mes souliers crissant quelques milliers de cafards trop séniles pour s'enfuir et m'affalais sur mon grabat, au milieu de mes deux larrons.
Je ne crois pas que le sexe tenait une grande place dans leurs relations. Sans doute s'accouplaient-ils de temps à autre. Ils se levaient tard, j'imagine, et traînassaient autour de leur tanière en compagnie d'un quelconque sous-dealer.
La torpeur haschischine, celle-là même qui me poussait à arpenter les rues de la ville, le pas vif et l'esprit vide, les plongeait dans un brouillard mou et onirique où l'autre était réduit à la portion congrue.
Nous faisions caisse commune et cachions l'argent dans une chaussette au fond de mon sac. Vous ne me croiriez pas si je vous disais que je n'y ai même pas pensé, quand j'ai décidé de prendre mes cliques et mes claques et de leur tirer ma révérence. C'était l'après-midi. J'espérais ne pas les rencontrer afin d'éviter des explications. Les dieux étaient avec moi. D'ailleurs, les muezzins, de leurs voix éraillées, toujours à la limite de l'extinction, proclamaient la grandeur d'Allah.
Je me suis installé prés de la place des conteurs, un coin où j'étais certain qu'ils ne s'aventureraient jamais, dans un gîte de la même catégorie que celui que je venais de quitter. Les cafards et les odeurs étaient les mêmes. Mais la peinture récente. C'est peut-être pour cela qu'il était moins cher.
Cela fait quinze jours, maintenant. Ils sont rentrés, forcément. J'ai repris mes promenades. L'argent peut bien durer encore un mois, un mois et demi peut-être. Je n'ai pas envie de calculer. Il durera ce qu'il doit durer. Après ? Après on verra.
Ce matin, je me suis réveillé l'esprit encore embué par le kif, mais une idée étonnamment claire avait germé pendant la nuit. J'ai acheté un crayon, une enveloppe et un timbre. Sur un bout de papier que j'ai ramassé par terre, je l'ai notée, pour la leur envoyer :

Mon plafond est blanc comme la plupart des plafonds
Il y a pourtant des jours où je trouve ma vie
Extraordinaire

La lettre est dans ma poche. Un de ces jours, sans doute, je la leur enverrai.


Dernière édition par pehache le 17.09.24 20:09, édité 1 fois

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Message par Lix 16.09.24 21:01

Merci
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Message par Jean Paul 17.09.24 6:41

A bientôt pour la "suite". (l'autre texte)
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Message par pehache 17.09.24 9:02

Le splendide anonyme et le fil d’Héraclite



Les chemins rebroussés,
les dents jaunes du doute aux entrailles accrochées,
les feux de paille des lanternes magiques !
que reste-t-il enfin ? Supposez la caverne bouchée
ni sortie ni entrée. Supposez l’absence de caverne
- pas d’issue, pas de feu,
par conséquent pas d’ombres.
Mais, dense et stérile,
la ronde des silhouettes.
Melville Burns




Embastillé derrière mon comptoir, nonchalamment perché au sommet d’un tabouret, je contemplais d’un œil faussement indifférent la pluie qui s’abattait sur la ville et en délayait le gris, le trop-plein de gris.
Un héritage, modeste, bienvenu et inespéré, survenu quelques années auparavant alors que je m’évertuais à m’enliser dans de vaines prétentions artistiques et amoureuses, m’avait relégué là, sur cet îlot vieillot, désuet et- pourquoi ne pas l’avouer ?, douillet, reposant jusque dans ses plis et replis poussiéreux, archaïques. J’y goûtais un temps lent et quasi immobile, un peu moisi, un peu blet, presque poreux.
Pour me distraire, j’organisais certains soirs, et ce soir en serait un, des concerts, dans la vaste arrière-salle. Dans le même esprit, régulièrement, se réunissait un petit cercle d’écrivants pratiquants.
En cette heure creuse, les habitués, au nombre, mesuré, de deux, trônaient chacun en un point opposé, certainement magique, de la pièce unique, jadis peinte en un vert qui n’avait pu être choisi que par un daltonien. Une jolie fille assassinait des cigarettes, à la file, avalant avec son café le poids d’une rupture.
Je n’ai, délibérément, jamais cherché à connaître leur nom, je veux dire leur vrai nom, celui à usage secret ; je le leur aurais demandé, ils se seraient, à n’en pas douter, affublés d’un sobriquet inutilisable et banalisé (Martin, Gaucher, Van Hoogenbosch, que sais-je encore ?). Mais j’appréciais ce faux anonymat (qui ne délivre, cependant, aucune vraie connaissance) ; moi-même, héritant des lieux, j’avais du même coup endossé pour la clientèle le patronyme de mon généreux bienfaiteur, désormais à la droite de Dieu, du moins je l’espère. Je prenais garde de ne point la détromper.
Étaient-ils réellement, objectivement, aussi extraordinaires que je le soupçonnais ? Tout, finalement, n’est-ce pas, se ramènerait à une question de point de vue. Dîtes-moi d’où vous regardez et je vous dirai qui vous êtes et si vous avez mal au dos…
Toujours est-il qu’ils étaient, tous les deux, vieux ; vieux d’une vieillesse indéfinie, asiatique, presque sans âge, usés, élimés, comme polis, trop portés.

Je baptisai celui de droite (-à gauche, si vous veniez d’entrer-) le champignon. Tout droit sorti d’un roman de Sartre, il était, là sur la banquette. Il ne faisait rien. Il était. Essence sans modalité. Silencieux et végétal, sans seulement remuer les lèvres, il agitait parfois le doigt. Je m’élançais, neutre et courtois, pour lui remplir son verre de rouge. Il se rivait à la banquette, s’enracinait dans la matière- et il tentait d’inexister.
Parfois, agité d’un relent de tendresse en quête d’objet, je lui attribuais un autre nom, plus explicite, ésotérique, fils d’Héraclite. Vous savez, Héraclite, le philosophe d’Ephèse, l’Obscur, l’auteur du fameux « on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve » eut un disciple qui, rapportent les doxographes, ajouta : «  on ne baigne pas même une fois dans le même fleuve » et ce disciple eut à son tour un disciple qui se contentait de lever le doigt pour signifier qu’il aurait eu quelque chose à dire mais que le temps, déjà, en était passé, enfui. A jamais révolu.
Ai-je précisé que la moleskine à laquelle il s’efforçait de ressembler, à laquelle il adhérait et dont, peut-être, il se nourrissait, (tant elle était élimée à sa place précise et dessinée), ai-je précisé que, par une faute de goût remarquable, preuve de l’anomalie visuelle dont devait souffrir mon bienfaiteur, (trônant à la droite de Dieu, du moins je l’espère), la couleur de la susdite moleskine était un rouge vif et sanglant ?
A ma gauche, siégeait, sinistre et sec, le Splendide Anonyme. Du matin au soir, il luttait farouchement- raturant, biffant, barrant, triturant, ciselant- contre la pesanteur des mots. Il couvrait à peine, au cours d’une journée, un étroit feuillet. Je tentai maladroitement, une fois ou l’autre, de lire par-dessus son épaule. Peine perdue. Je ne déchiffrai pas le moindre vocable, la plus petite parcelle de sens. Amèrement, j’y renonçai.
C’était lui, m’imaginais-je, l’homme supra-humain à venir, à survenir ! L’homme neutre, dénué de tout signe distinctif, gris-muraille. Je composai pour lui ce petit poème que je vous offre pour ce qu’il vaut, c’est à dire une description.

Dans la foule, anonyme, éperdu de lui-même,
Sans le moindre témoin, sans le moindre Sancho
A la traîne ; sans laisse sans chaîne et sans couronne,
Sans trace du génie, sans foi, sans croix,
Sans épines ou lauriers ;
Dans la masse, anonyme, éperdu de lui-même,
Il veille, il va, sans complaisance il erre,
Et, gouverneur de l’inquiétude, il est,
Transparent à la lumière.


La pluie, torrentielle, équatoriale, diluvienne, apocalyptique et, qui sait ? cathartique, persévérait au point que l’impossible, désormais, était d'envisager qu’elle cessât. Je m’évaporais sans anxiété aucune dans la torpeur tiède et adjectivale de la méditation lorsque- grelingue ! grelingue !- trois nouveaux personnages entrèrent en scène en s’ébrouant. Deux hommes, une femme. Un homme de trop, me dis-je- à juste titre. Ils ôtèrent leurs vestes, manteaux et autres imperméables, s’attablèrent et commandèrent trois grogs. L’irruption, dans mon oasis, du vaudeville ne m’enchantait guère. On a beau être tenancier d’estaminet, on n’en a pas moins sa fierté et, à défaut de mettre en scène, l’on aime à choisir sa programmation.
Las, la demi-heure suivante me vit tomber de Charybde en Scylla. Survint d’abord, en effet- grelingue ! grelingue !- un jeune homme moderne qui se précipita dans mon arrière-boutique pour téléphoner sous le prétexte que son portable avait pris l’eau ! Il y ronchonna à son aise, pestant contre Dieu et les ondes, qui, ligués probablement, lui refusèrent la moindre tonalité. Pauvre idiot qui n’avait pas compris que le monde n’avait plus cours, que les eaux submergeaient la terre, que rien, en dehors de mon arche, n’existait plus. Momentanément, bien sûr.
Ensuite, grelingue ! grelingue ! apparût Patrice flanqué de son affreux bâtard roux qui déjà, par deux fois, avait profané mon beau comptoir en bois… Comme à l’accoutumée, le maître s’accrocha au bar, attachant lâchement le cabot à l’un des pieds de son siège.
Le plancher s’ornait de flaques que, lentement mais consciencieusement, la bête lapait.
Dis-donc, Charles-Hervé… (car ce rustre avait appris- mais comment ?- mon prénom), dis-donc, si on se faisait une petite partie d’échecs, hein ?
Je refusai. L’heure était grave, sacrée. Je savais, d’autre part et d’expérience, qu’accepter eut été aller au devant d’une défaite d’autant plus cuisante qu’inévitable.
Le silence retomba.
L’un des deux hommes qui encadraient la fille, celui qui était de trop, se leva bruyamment, et, alors qu’elle lançait un « Yves ! Yves ! » étranglé, se dirigea vers la sortie, ouvrit la porte - grelingue ! grelingue !- permettant aux vents de s’engouffrer et s’en fut. Il me fallut quitter mon observatoire, mon poste de souffleur, pour repousser ces hôtes indésirables ; au prix d’un effort titanesque, j’y parvins.
Le temps s’écoula à l’horloge comme ailleurs sans que nul ne le remarque. Une heure passa. Puis deux… le soleil revint brusquement. Le Feu, une fois encore, triomphait des eaux. Le couple s’en alla, main dans la main, sans jeter un regard autour de lui, prisonnier de son amour, de son destin de bivalve aveugle des grands fonds. Patrice partit chercher ailleurs un partenaire digne de ce nom, me laissant, en témoignage de son mépris, mélangée à l’eau infiltrée du dehors, l’urine de son immonde roquet. Le jeune homme abandonna ma cuisine, souillée par l’odeur de ses cigarettes et de son after-shave.
Mes deux vieux n’avaient pas bougé, pas cillé, absents qu’ils étaient aux choses de ce monde-ci (et, je le craignais naïvement, de beaucoup d’autres).
Je les délaissais le temps de ranger ma cuisine et de satisfaire un besoin, trivial mais pressant. A mon retour- et ce seul fait mérite votre attention, justifie ce préambule, mieux : l’éclaire et le nécessite ! – je surpris leurs regards entrecroisés et leurs yeux, je le jurerais, les yeux brillaient de malice et de connivence.
Ai-je rêvé ? Je crus les entendre, conjointement et joyeusement, proférer le mot : imbécillité.
Dehors, il pleuvait.












***

Parfois, je rêve. Ou l’on me rêve, parfois.



Embastillé derrière mon comptoir, parfois, les mots me viennent, ou les images, les destins. Parfois…




***




pehache

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Message par Jean Paul 17.09.24 11:15

Arrimé au comptoir, on a une vue imprenable sur les êtres vivants qui fréquentent ces lieux. Cela permet d'analyser ses propres faits et gestes pour mieux comprendre et avancer dans la vie.
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Message par Lix 17.09.24 17:15

je viens de relire la première partie, j'ai refait ce voyage. j'adore le tout premier paragraphe avec la pluie. et ensuite, j'avais l'impression d'y être.

"Ce recueil est composé de textes placés sous le double le signe du lien et de la polyphonie" : un "de" à retirer dans cette phrase ?
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Message par Lix Hier à 19:15

C'est une bulle ce troquet, on entre on s'installe, on écoute et observe. Les descriptions des deux vieux sont terrib'.
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