Hors des clous (Fid-ho/Jean Paul/Lix)
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Hors des clous (Fid-ho/Jean Paul/Lix)
- Hors des clous :
Ce qui semblait commencer comme un dimanche un peu routinier, se révéla être au fil des heures, une journée vraiment très particulière...
Dimanche : 8h.
Le drap housse se barre à moitié, dénudant mon matelas. Alors que je hasarde un pied hors du lit constellé de miettes durcies et de taches douteuses, "All By Myself" écoutée en boucle par ma voisine dépress suinte à travers la mince cloison : une magnifique journée s’annonce. Je m'étire, défais ma couche, secoue le tout au-dessus de la terrasse du grincheux qui râlera comme un putois, ça lui fera une occupation, et enfourne le tout dans mon vieux lave-linge. Bruits de tambour battant et de cafetière crachotant ma dose de noir que j'accompagne de la "Flûte enchantée" à fond les manettes.
Un coup d'œil attendri vers la vieille Minilu, 14 ans passés et à moitié sourde : elle ronque encore dans son couffin. Percluse de rhumatismes, elle ne vient plus me rejoindre là-haut et me laisse dormir en solitaire, surtout depuis que Monique m'a quitté. J'ouvre la fenêtre et recule devant la lourde bouffée de chaleur de cette fin de juillet : plage, rivière ou lac ?... Faut d'abord choisir le maillot : le moulant rayé bleu blanc rouge ou l'ample noir à pois jaunes et verts ? Ne pouvant me déterminer, je me lance dans un démoniaque Sudoku "force 9" : rien de tel pour activer les neurones matinaux !
Dimanche, quelques heures plus tard.
Vous l’avez deviné, le moindre choix est pour moi une épreuve, je déteste me précipiter. D’un pas (enfin) résolu, je descends à la cave, enfourche mon vélo électrique et part à l’aventure sur la voie verte récemment inaugurée. J’adore sentir la main du vent ébouriffer mes cheveux, un moment de liberté chérie, seul et loin du lotissement. Une envie d’éclat de rire chatouille mes lèvres quand je pense à mes tenues de bain, dignes des plus belles soirées drag queens, que je n’ai d’ailleurs plus besoin de cacher depuis que Monique-nique-nique est partie après avoir compris. Encore quelques coups de pédale et mon vélo se cabre comme un cheval fougueux ; nous avons failli trébucher sur un paquet cadeau, je l’ouvre et découvre "Ravage" de Barjavel accompagné d’une dédicace à mon nom.
J'avais déjà lu cet ouvrage et ça m'avait donné la nausée : se retrouver aux prises avec la barbarie et sans le confort d'aujourd'hui, est au-delà de mes limites, c'est comme dans "La Route" de Cormac McCarthy... Pourquoi ce livre dédicacé ? Serais-je l'objet d'un complot ? Le moral à zéro, je reprends le chemin du retour ; l'air n'a plus de goût ni de couleurs, je voudrais être la plus élémentaire des particules pour être mêlé à toutes les fragrances les plus subtiles, me fondre dans l'infiniment petit et tout recommencer dans une poussière d'étoile.
Mon cerveau fonctionne à plein régime ; pourquoi "Ravage", pourquoi un livre ? J’ai affaire à quelqu’un qui me connait, n’ignore rien de mes habitudes et qui sait que par cette chaleur, il n’y a, à cette heure, personne d’autre sur ce parcours.
Barjavel et Mc Carthy, certes, mais j’ai aussi lu "Fantômette" et me dis que je dois revenir sur la "scène du crime" pour y recueillir informations et observations.
Alors que j’arrive sur place une silhouette gracile s’enfuit prestement dans les buissons.
Je saute de ma monture et cours à sa suite. Une étincelle jaillit, me surprend et m'appeure, enflamme l'écrin de verdure pour ne laisser qu'un sol aride et craquelé ; dans ses fêlures je regarde poindre des morceaux d'ocre plus lumineux que le soleil. L'être a disparu ainsi que le bouquin que j'avais mis en poche. Il est midi.
L'astre à son zénith cogne dur, mon esprit vacillant suggère une hallucination et/ou une vengeance de Monique ; elle s'appelle Monica, mais je m'amusais à la ringardiser, elle n'aimait pas et j'éprouvais une jouissance sublime à la nommer comme ma génitrice : cette dernière désirait une fille, mon père, un garçon... J'avais trouvé le moyen de les satisfaire. Cependant, un drame se jouait si le "Tout Puissant" me surprenait avec des vêtements féminins : il frappait sa femme en représailles. Le soir, elle me lisait "Fantômette", quand il l'avait corrigée, et "Le club des cinq", s'il l'avait épargnée. C'était devenu un code implicite entre nous deux.
Vers l’âge de 14 ans, la situation s’est compliquée. J’espérais ardemment que ma voix devienne plus grave, que des poils apparaissent ; hélas, mon corps empruntait le chemin inverse : Je ne me sentais ni homme, ni femme. Je n’éprouvais rien. Mon père qui trouvait que la situation lui échappait, s’en sortait par des citations viriles du style : «Je suis le maître de ma destinée. Je suis le capitaine de mon âme».
À ce propos, tiens, il n'y en a aucune à la ronde, d'âme ; y en a-t-il seulement une en moi ? Si oui, je la chercherai plus tard car ce qu'il y a de sûr c'est que toute cette histoire me donne une faim de loup. Je jette un œil à ma montre, celle que m'a offerte ma mère avant que je ne mette définitivement les voiles : il est 13h, je salive, passe la langue sur mes canines que je découvre terriblement pointues.
Passant outre à cette fugitive impression de mutation de mon anatomie, me voilà de nouveau sur le retour, où les pensées reviennent à Monique ; je l'aimais passionnément et prenant exemple sur mes géniteurs (ma mère, malgré ses tourments est restée fidèle), je me dis qu'en frappant ma compagne, elle resterait toujours avec moi ; ainsi, je la cognais sous n'importe quel prétexte ; l'idéal, c'était quand Minilu oubliait d'aller dans la litière, alors, je mettais les bouchées doubles, c'était sa chatte, elle devait en payer le prix! Mais Monique est partie, et je tenais pour responsable l'homme, dont, par souci de virilité, j'avais suivi l'exemple ! Soudain, après le 3ème tournant, celui du grand micocoulier, mon coursier manque un dérapage : le livre git dans le gravier.
Ravage! La 3 ème 5, une année difficile : la classe m’avait mis à l’écart; mes journées n’étaient que moqueries et humiliations.
Je rejoins ma tanière, vite un ordi ! Je me jette sur un célèbre site de recherche d’ex "camarades".
Sur le cliché de l’année en question trône en majesté le gros lourdaud qui passait son temps à m’intimider, c’est lui ! À moins que ce ne soit la pimbêche qui me dénigrait sans arrêt ou pourquoi pas celui là qui me regarde avec concupiscence.
14h : Je leur adresse à tous trois le même message : "Le harcèlement a repris, ordure!"
Les retours sont quasi immédiats.
Vincent : ”je suis passé à autre chose, lâche moi la grappe Zaza!"
Steph : "???"
Benjamin : pas de réponse.
Les lâches... je termine mon casse-dalle et relis la bafouille dans le bouquin. "À 23h23 tu sauras", accompagnée d'un graffiti, on dirait une éprouvette.
Éprouvette, éprouvette, est ce que j’ai une gueule d’éprouvette ? Je tourne les pages fébrilement, à la recherche d’un indice, les mains tremblent, des gouttes froides perlent mon front, l’estomac remonte, c’est toujours la même chose, si je plonge dans cet ouvrage empoisonné ( j’ai dû jeter le premier !). Enfin, juste avant la couverture, écrit en lettres d’imprimerie : « va voir, dans le vieux poêle, à la cave »… Et me voilà déjà à sortir la boîte à cendres, puis le coffret en métal, où de minces feuillets m’apprennent ma condition d’enfant adopté ; d’autres, plus compromettants, révèlent des détails sordides sur les activités nocturnes de mon simili-pére ; le dernier document m’inquiète énormément : un dépliant publicitaire sur « La Falesia », en Algarve, au Portugal, où nous avons passé notre dernière réunion familiale.
Ma mère avait décrété qu’un petit voyage nous ferait à tous (mon "père", elle et moi) du bien. Cette virée avait été une horreur, disputes incessantes, rancœurs recuites, non dits. Ma dernière image de ce coin paradisiaque aura été la falaise abrupte et tout en bas les rochers. Précipitamment, j’avais mis fin à ce séjour cauchemardesque et étais à la hâte rentré en France.
Je n'ai pas pris la peine d'aller voir s'il était bien sec, vertige oblige... suis allé récupérer mes affaires et ma nouvelle montre avant de m'envoler, sans un baiser, mot ni regard pour la mère, elle n'était d'ailleurs pas dans la location.
Une fois rentré, j'ai galéré, fait quelques trottoirs, traîné dans les bars de nuits, picolé, rencontré un gars qui m'a fourni un travail stable et je me suis installé dans ce lotissement. J'ai tenté d'aller voir ma mère quelques années après, je n'ai pas reconnu sa voix, elle a refusé d'ouvrir la porte, m'a chassé.
Ainsi, adopté ou pas, ça m’est égal, le grand regret demeurant pour celle qui m’avait tant réconforté ; j’ai appris récemment, la présence d’un nouveau compagnon et m’en réjouis profondément, mais pourquoi ce rejet après « l’accident » ( il est vrai que je me suis lâchement enfui ! ) ? … "Il regardait l’océan, le bord du chemin non protégé et atrocement effrité, ne demandait qu’à céder" fut la conclusion officielle…Reste à savoir qui connaît autant de détails sur ma vie : Benjamin, Monique ? Depuis son départ, elle végète en unité psychiatrique… Il est 18h, pause digestive largement dépassée, je ne sais à quoi rime cette absurde échéance de 23h23 et réfléchis à programmer une soirée "Drag Queen".
18h30
Benjamin : "Ça fait un bail ! Tu n’as pas tourné la page ? Un coucou de Thaïlande où je réside 6 mois par an. Quand j’y repense, j’ai honte, puisses-tu nous pardonner !".
Parmi les possibles, il ne reste plus que Monique, Monica ; un coup de tel à son centre hospitalier me confirme qu’elle n’est pas en état d'échafauder le moindre coup tordu.
Je ne nourris aucun goût pour les énigmes, je ne vais pas me casser d’avantage la tête. Je n’ai plus le moral pour me rendre à la soirée, je vais doucement glandouiller en attendant l’heure fatidique.
Je m'installe confortablement dans mon fauteuil, attrape une revue de science fiction que je pense dévorer en compagnie de quelques bières. À la troisième page, mes yeux se voilent, en fait non, la nuit tend ses bras pour m'envelopper. Je tends à mon tour l'un des miens pour appuyer sur l'interrupteur mais rien à faire, pas de jus. Je vais à la fenêtre, aucune lumière ne se fait dans la rue, ni chez les voisins de l'autre côté.
Panne de quartier, Enedis va nous régler ça, sauf que la montre connectée et le mobile n’ont plus de batterie et toutes les frontales n’ont pas été rechargées ; on cogne à la porte, j’ouvre dès qu’il annonce être le compagnon de ma mère, nous nous installons dans le noir absolu (pas de lune) et son récit me submerge, m’accable, me laisse pantois :
- Tes parents ont eu un premier fils, unique, parfait, mais quand il est décédé d’une chute stupide, ils ont fait appel à moi, chercheur à la pointe, dans l’équipe qui a cloné la célèbre Dolly en 1996. Une législation a immédiatement interdit le clonage d’êtres humains, mais les recherches ont continué et, sous l’énorme pression de tes parents, nous t’avons créé, en toute illégalité, à l’image de ton frère, l’adoption étant le moyen rêvé de te mettre dans le circuit… Malheureusement, au vu de tes penchants indéterminés, ton père a peté les plombs ; quand ta mère a compris que tu l’avais tué, elle a eu peur, d’autant plus que tu avais "ravagé" la Monique… Par sécurité, à ta "naissance", tu fus doté d’une puce, ce fut donc facile de te semer des indices pour te préparer à l’échéance : ta mère veut une descendance issue de ton père ; grâce à nos progrès, nous pouvons engendrer un spécimen adulte ; mais pour cela, tu dois disparaître, avec ou contre ton gré...
Je l’écoute, bouche bée, il n’a pas le temps de finir sa phrase, quand la lumière revient.
J'en profite pour le neutraliser, quel con, il fait moins le malin, ligoté sur une chaise de cuisine !
Des lâches : mes anciens supposés camarades d'école, des tarés : mes supposés parents avec leur savant fou, et un tordu : le supposé moi, un monstre. Le schnock bâillonné se l'est fermée, le temps que je digère ses révélations... et dire que Monica a lourdement fait les frais de tout ça, je m'en veux terriblement. J'entends au loin le clocher sonner 20h, j'attrape Minilu et dégage de ce lieu vicié, tiens d'ailleurs, si cette boule de poil savait que je me suis fait dépucer en même temps qu'elle, je suis sûr que ça lui plairait, elle qui a depuis longtemps capté mon côté "bizarre" alors que moi je l'ai occulté.
Partir sans se retourner, je sais pas faire. On dit que l’assassin revient toujours sur les lieux de son crime ; je reviens sur mes pas, arrache le bâillon de mon captif et demande :
- Pourquoi 23h23?
- J’avais envie que tu te poses des questions, que tu souffres, l’échéance fixée ne servait qu’à dramatiser la situation.
- Tu sais ce que je réalise?
- …
- 23 en argot américain signifie : "déguerpis". Donc 23h23 nous donne : "Casse-toi ! Casse-toi !" Ben non je vais rester !
23h15
Chiche ! J’attends !
Tout en serrant "beau papa" contre moi, je jette un regard de connivence à la gazinière toute proche.
23h23, je n'ai rien appris de plus de la part de ce vieux chameau que j'ai bien amoché, si ce n'est que mon prénom est le même que celui de mon "frère" décédé, ce qui m'indiffère totalement... je préfère celui que je me suis donné, Loïc. Je mets en marche le four.
- Merde ! Encore une panne ! Il va falloir finir le boulot à la main. Lâche-moi la grappe, Minilu, j'en ai pour un instant et on met les voiles.
Lix- Messages : 843
Date d'inscription : 05/08/2024
Re: Hors des clous (Fid-ho/Jean Paul/Lix)
Histoire rapatriée d'un autre support. Ouverture proposée par Tinouch.
Lix- Messages : 843
Date d'inscription : 05/08/2024
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